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« Cette école, c’était une vraie famille »
Fondée en 1948, l’école publique du village de Boxmaya vient de fermer ses portes. Une situation qui se généralise au Liban.
Depuis 2024, l’école n’existe plus. Autrefois si vivant, le lieu est aujourd’hui déserté. La cour de récréation est silencieuse. Elle ne sert plus qu’à l’équipe locale de volley-ball, où la formation fanion de ce village du nord-Liban dispute ses rencontres officielles. Tout autour, les salles de classes sont closes.
Aux murs des dessins d’élèves rappellent que ces bâtiments furent jadis une école pleine de vie, un lieu de savoir et de transmission. Ici un manuscrit épinglé, où une main enfantine avait rédigé en français – la langue d’enseignement après l’arabe classique (*) - les douze commandements à respecter pour une classe responsable : « lève la main pour prendre la parole » … « fais attention durant l’explication » … « Ne te moque pas des autres » … Plus loin une affiche rédigée en arabe rappelle les devoirs des professeurs envers les élèves. Dans cette classe, les pupitres sont encore parfaitement alignés. Mais aucun élève ne viendra prendre place sur les bancs. Plus loin, dans une autre salle sont empilés, pêle-mêle, des pupitres d’écoliers.

Elias Hanna Youssef, 72 ans, a accepté de rouvrir l’école pour me faire visiter l’établissement. Il en fut le directeur de 1979 à 2O17. En retraite aujourd’hui, il en connait le moindre recoin, capable de raconter l’histoire de chaque écolier. « Nous avions 11 classes, de la maternelle jusqu’à la troisième, précise Elias. Dans les années soixante-dix jusqu’à 250 élèves fréquentaient l’école. Beaucoup sont allés étudier par la suite à l’étranger, grâce à des bourses d’étude. » Aujourd’hui, les jeunes quittent le village ou émigrent. Les familles ont moins d’enfants. Mais chaque fois qu’il pousse la porte de son petit bureau qu’il a lui-même financé, la nostalgie remonte.
« Ici, c’était une famille, insiste l’ex patron, une enseignante pouvait se rendre chez elle, dans le village, entre deux cours pour soigner son enfant souffrant. Chaque matin, la femme de service nous préparait le café. Ma porte restait grande ouverte pour chacun. »
Emu, Elias s’assoit à un pupitre, Khaled, un ancien élève, qui passait par là, vient le rejoindre. Ingénieur en télécommunication, ses frères et sœurs ont fréquenté l’école qui avait une excellente réputation. Trois sont devenus médecins, une autre avocate, la dernière secrétaire bilingue.

« En 1995, les neuf élèves de troisième avaient tous réussi l’examen d’état final. Pourtant, raconte avec fierté Elias, il a fallu se battre car l’Etat supprimait dès le début des années 1980 les écoles publiques, qui lui revenaient plus cher que les établissements privés (*2). Les enseignant, moins rémunérés, quittaient le secteur. »
Durant la guerre civile en Syrie, à partir de 2012, un grand nombre de familles Syriennes fuyait leur pays. « Nous avons dû accueillir des élèves syriens, » explique Elias. Une erreur selon lui, « car ces gamins avaient une éducation différente, et n’avaient aucune notion de français, la seconde langue d’enseignement au Liban. Nos enfants perdaient leur niveau. Mécontents, les parents ont alors dirigé leurs enfants vers le privé, en se serrant la ceinture ou en se regroupant pour payer les frais de scolarité. Finalement nous avons fermé l’école en 2024 »
L’école de Boxmaya ne fut pas la seule victime. Dans les villages libanais, trois écoles catholiques et cinq publiques ont finalement mis la clef sous la porte dans la région. Elles n’ont jamais réouvert.
Luc Balbont
(*1) l’arabe littéraire est la langue enseignée à l’école. L’arabe dialectale, le lahjat, est celle parlée dans la vie courante par les libanais.
(*2) Selon des enseignants un élève du secteur privé coûterait 6000 dollars par an à l’Etat, contre 15000 dollars pour un élève du secteur public