« Chaque soir à 20 heures, François nous appelait à Gaza. »

Entretien avec le P. Romanelli, curé de Gaza.

Le père Gabriel Romanelli qui vit confiné dans un espace réduit au milieu de réfugiés chrétiens dans l’enfer de Gaza, avait promis de me rappeler, après avoir célébré sa messe du soir.

Fidèle à sa parole, à 19 heures ce 24 avril 2025, la voix du prêtre résonne au bout du fil. La communication passe mal dans la petite bande écrasée par les bombardements israéliens. La voix est inaudible, hachée. « Qu’importe, me rassure l’intéressé, je t’envoie un témoignage audio… »  Une demi-heure plus tard les mots du P. Romanelli expriment sur mon téléphone les inquiétudes et toute la tendresse qu’éprouvait François pour les chrétiens de Gaza.

« A 20 heures tous les jours, François appelait. C’était un rituel que nous attendions tous. Il venait prendre des nouvelles de cette communauté chrétienne réfugiée, à l’étroit, dans l’Eglise de la Sainte-Famille de Gaza-ville. Il nous a téléphoné jusqu’au samedi Saint, le 19 avril 2025, deux jours avant sa mort. Ce fut son dernier appel. S’il était trop faible ou si la communication ne passait pas, il nous joignait habituellement le lendemain … mais le 21 avril sa voix s’est éteinte pour toujours.

Argentins l’un et l’autre, nous échangions en espagnol, notre langue maternelle. Je traduisais en arabe pour ceux qui étaient autour de la table. Il nous demandait comment nous allions, ce que nous avions fait durant la journée. Dans notre dernier échange, après avoir prié. Il nous a remercié pour notre présence, nous a donné sa bénédiction. Il a dit quelques mots en Italien au Père Youssef mon vicaire général, et a salué chaleureusement les Sœurs du « Verbe incarné ». Il nous a demandé de nous occuper particulièrement des plus faibles, des malades, et des enfants, dont un certain nombre de gamins musulmans handicapés soignés par les Sœurs de la Charité de Mère Teresa.

Grâce à Dieu, à l’Eglise et à ses encouragements, nous avons pu aider beaucoup de familles à Gaza, qu’elles soient catholiques, orthodoxes ou musulmanes.  Lorsque je suis arrivé la première fois ici, il y a plus de 15ans pour assister l’ancien curé, Gaza comptait 3500 chrétiens, Il en reste aujourd’hui 980 environ, dont moins de 100 catholiques. Beaucoup ont fui ou ont été tués. On a perdu plus de 20% de la communauté catholique.

 Chaque soir, les paroles de François étaient attendus comme un trésor. Il ne cessait de prier pour l’arrêt de la guerre, la fin des massacres, surtout des enfants palestiniens, mais aussi pour la libération des otages israéliens.

Malgré ses souffrances, François nous aura accompagné jusqu’au bout. Aujourd’hui nous prions pour que son successeur suive la route qu’il avait tracé. »

Recueilli par L.B  

Notes-

J’avais réalisé cette interview pour le site de l’Eglise suisse, cath.ch, à Lausanne, trois jours après le décès du Pape François. Je le remets en ligne aujourd’hui pour les lecteurs de l’Œuvre d’Orient, afin qu’ils n’oublient pas qu’à Gaza, une poignée de chrétiens et leur prêtre, le P. Romanelli, maintiennent avec courage une présence humaine dans un champ de ruines.

Dans le texte envoyé à cath.ch en Suisse, j’avais écrit qu’il restait moins de 700 chrétiens à Gaza, et que la communauté catholique avait perdu 30% de son effectif. Le pourcentage et les chiffres se situent vraisemblablement entre les deux versions.