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Chrétiens en Inde. « Etre Indien sans être hindou »

Rencontre avec le  P. Sajan Pindiyan

Composée de 29 états, l’Inde compte 1,2 milliard d’habitants, dont 832 milliards d’hindous. Avec 24 millions de fidèles, les chrétiens représentent 2,3% de la population. Curé dans le diocèse syro-malabar (*) de Thissur, dans la province du Kérala, au sud du pays, le Père Sajan Pindiyan, 41 ans, appartient à cette minorité. Une communauté qui doit faire face à la majorité hindoue et aux dirigeants du Parti nationaliste BJP, actuellement au pouvoir, pour lesquels «tous les Indiens sont hindous ». Un mot d’ordre inquiétant pour le P. Pindiyan : « Nous sommes tous Indiens, mais avec des religions différentes. Si 79 % sont hindous, l’Inde compte des musulmans (140 millions), des chrétiens, et des minorités bouddhistes, sikhs, et jains.»

Cette agressivité du BJP, est un danger, surtout pour les chrétiens qui vivent dans les états du nord, où ce parti est fortement représenté. Des régions où des églises ont été mises à sac. Face à ces attaques « les silences du Premier ministre nationaliste et de son parti, comme  ceux de la société civile posent problème », confie le prêtre, qui précise que cette hostilité provient d’une minorité, « car la grande majorité des hindous, ne demande qu’à vivre en paix avec les autres minorités religieuses. Les Indiens, affirme-t-il,  sont extrêmement respectueux envers les croyants des autres religions. Mère Teresa est ainsi devenue une référence absolue en Inde, et pas seulement pour les chrétiens

Au Kerala (sud du pays), berceau du christianisme indien, évangélisé dès les premiers siècles par l’apôtre Thomas, les chrétiens, contrairement à leurs frères du Nord, jouissent d’une totale liberté. Cet état est dirigé actuellement par le Parti communiste, et le BJP ne peut pas se mettre les chrétiens à dos, s’il veut gagner les cœurs. D’une manière plus générale, pour les nationalistes du BJP, les musulmans indiens représentent un danger plus grand. Une partie d’entre eux, radicalisée, soutenant l’islamisation et le Pakistan voisin.

Et puis l’Inde est vaste. Des états comme le Gujarat ou le Rajasthan à l’Ouest, le Cachemire au nord, ou l’état du Bengale à l’est ont des populations et des lois qui n’ont rien à voir avec le Kerala. Dans certains états, les conversions sont possibles, dans d’autre non. La jeunesse se mondialise, elle est branchée sur les évolutions du monde, grâce aux réseaux sociaux, mais la foi reste plus que jamais ancrée dans les cœurs.

Quel rôle peut jouer la petite communauté chrétienne dans ce vaste pays ? « Capital dans au moins deux domaines, répond le curé de Thissur. La santé, et surtout l’éducation. Les établissements scolaires dirigés par des religieux chrétiens jouissent d’une réputation d’excellence. C’est du reste ce que nous reprochent les nationalistes hindous, qui estiment, que c’est par le biais de l’enseignement que nous convertissons les familles au christianisme. » Une affirmation d’autant plus fausse que la communauté chrétienne est composée de 60% d’intouchables (dalits ou hors caste), la classe sociale la plus méprisée. Un système social que l’Eglise condamne et que la constitution indienne interdit. « Les traditions ont la vie dure, déplore le P. Pindiyan. Dans les campagnes reculées, voire dans les paroisses de contrées sous-développées, le système de castes reste encore présent. » Peu à peu pourtant, la tradition recule. Dans les villes, on ne fait plus la différence entre les intouchables et les autres castes. Entre 1997 et 2002, le président, de la République, M. Kocheril Raman Narayanan était issu de cette caste. Les mentalités progressent. Il faut juste un peu de patience.

De son passage en France où il a étudié la  théologie, le P. Pindiyan a retenu la nécessité de la réflexion critique, et ces discussions incessantes sur l’évolution de l’Eglise l’ont impressionné. Voilà « ce que j’aimerai transmettre, dit-il aux fidèles de mon diocèse. » Un certain goût du débat, qui manque encore aux chrétiens indiens.

Luc Balbont

(*) Trois églises catholiques : les syro-malabars, ou chrétiens de Saint Thomas, les syro-malankars rattachés à Rome depuis 1930, une Eglise latine ainsi qu’une Eglise syro-malankare autocéphale.