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Citoyenneté : les inquiétudes des chrétiens libanais

En 2010, au synode pour les Eglises catholiques arabes, si patriarches et évêques étaient unanimes pour se tourner vers la citoyenneté et la laïcité, ils concluaient qu’il faudrait aussi  beaucoup de temps pour changer les mentalités orientales.

Dans les pays arabes qui entourent le Liban, La Chari’a prédomine sur  la juridiction civile. Le pays du cèdre reste le seul territoire du Proche-Orient où la constitution insiste sur la liberté religieuse. En supprimant le pacte confessionnel au profit d’un système électif majoritaire, les chrétiens, numériquement minoritaires, risqueraient de se retrouver dans une situation de communauté tolérée comme les autres églises de la région. D’où leur méfiance à l’égard d’une citoyenneté préparée dans l’urgence…  Reste qu’en restant figé dans sa répartition confessionnelle, le Liban s’enfonce dans un chaos sans fin. Sans gouvernement depuis six mois, le pays n’entreprend pas les réformes demandées par le Fonds monétaire international, afin de débloquer les prêts pour le sortir de la crise.    

 Ministre libanais de la culture de 2005 à 2008, et émissaire spécial de l’ONU pour le conflit libyen de 2012 à 2014, Tarek Mitri, chrétien orthodoxe, engagé dans le dialogue interreligieux, confirme toutes les difficultés à bâtir une société civile au Liban, tout en gardant l’espoir d’y parvenir.

Q - Beaucoup de chrétiens libanais expriment leur inquiétude devant un changement trop précipité de leur pays vers une société laïque. Un changement qui leur ferait perdre les droits qu’ils ont acquis grâce au pacte confessionnel.

C’est une peur légitime. Ce système confessionnel en vigueur au Liban depuis l’indépendance : président, chrétien maronite, chef de gouvernement, sunnite, et président de l’Assemblée, chiite, pose beaucoup de problèmes, mais il garantit aussi les droits des communautés chrétiennes à participer à la vie du pays.

Q- Peur des chrétiens d’être marginalisés, hostilité des musulmans devant une société civile, incompatible avec leur religion. Une laïcité est-elle possible au Liban ?

Une laïcité à la française, certainement pas. En tous les cas, pas dans un avenir proche. Cela dit, le Liban n’est pas une théocratie, la séparation existe, excepté dans le domaine civil : naissance, mariage, héritage, décès etc...

Plus que la religion c’est le communautarisme, qui divise les Libanais. C’est lui qui produit les inégalités, et engendre les fanatismes et les affrontements. Des fléaux qui profitent aux leaders et à leurs familles, mais dont le peuple a souffert tout au long de son histoire.

Q- Est-ce pour cette raison que les chefs des différentes communautés font obstacle aux réformes  qui aboutiraient à faire émerger une société civile ?

Bien sûr, puisque dans une telle société, ils perdraient la majeure partie de leurs pouvoirs.

Pourtant, beaucoup de Libanais ne se reconnaissent plus dans ce système et dans ces chefs de clans qui mobilisent leurs fidèles à coups de pots-de-vin. Ce qui me fait espérer, ce sont aussi ces jeunes qui, depuis octobre 1999 manifestent, en multipliant les appels à la sécularisation. Et ces prêtres qui les soutiennent, en ayant le courage de se remettre en question, au risque de mécontenter leur base conservatrice.

Propos recueillis par Luc Balbont

On peut lire l’intégralité de cet entretien dans le N° 101 du bulletin de l’Œuvre d’Orient d’octobre, novembre, décembre 2020.