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« Fuir ! … Pour aller où ?»
Témoignage de George Anton Abu Leila, chrétien catholique de Gaza.
Le 16 mai dernier, le cardinal Pizzaballa, Patriarche latin de Jérusalem, s’est rendu, sous contrôle israélien, à Gaza-ville pour la première fois après plus de sept mois de guerre entre le Hamas et l’armée israélienne. A cette occasion, George Anton détaille dans la ville assiégée, le quotidien des catholiques gazaouis, confinés entre les murs de l’Église de la Sainte famille.
George Anton Abu Leila, catholique palestinien de Gaza, responsable de Caritas, et père de trois enfants n’entendait pas revivre la même angoisse que dans les affrontements précédents (1), en exposant les siens. « Je pressentais que la riposte de l’armée israélienne serait terrible. J’ai quitté ma maison dès l’attaque du Hamas, le 7 octobre 2023, et demandé à l’église catholique de la Sainte famille de Gaza de m’accueillir, avec ma femme et mes filles. » A Gaza-ville, Rimal, son quartier, est le premier secteur détruit. Et George devient le premier réfugié de la Bande de Gaza.
Au téléphone, entre coupures de courant et connexion incertaine, George Anton raconte ses mois de guerre. Dès les premiers jours, Il forme avec un petit groupe un Comité, qui prend en charge la protection de sa communauté. « Nous avons tout de suite contacté chaque famille, afin de les faire venir immédiatement à l’église. »
Originaire de Saint-Jean-d’Acre, au nord de l’ancienne Palestine ; la famille Anton est chassée en 1948 par les Israéliens qui conquirent la région et obtinrent leur indépendance la même année. Le clan se réfugie au Liban voisin. C’est d’ailleurs à Beyrouth que Georges naît en 1981.
Le garçon rentre finalement en Palestine en 1993 avec son père, qui travaille pour l’Organisation de Libération de la Palestine, au lendemain des accords d’Oslo. Accords qui entérinent notamment la création d’un État palestinien, qui ne verra d’ailleurs jamais le jour.
En 1995, Les Anton finissent par s’installer à Gaza avec l’Autorité palestinienne. « A l’époque, Israël n’imposait pas encore ses volontés. C’était plus facile pour nous de se déplacer, et se rendre en Cisjordanie. »
Georges Anton, 43ans, habite toujours Gaza avec sa femme, et ses trois filles, Leila 13 ans, Juliette 11 ans, et Nathalie 9 ans. Le Comité dont il est membre s’attache à organiser la vie de sa communauté autour de l’Eglise. « On a aménagé les salles de classe en dortoirs pour héberger les gens. On distribue de la nourriture et de l’eau potable aux familles, on a créé une infirmerie, une pharmacie et même une boulangerie. » Et de préciser : « en 7 mois de guerre, il n’y a eu aucun mort de faim, ou de soif, les seuls cas mortels sont dus aux maladies, ou aux tirs israéliens. Le patriarcat latin nous a beaucoup aidé, mais aussi la mission pontificale. »
Georges croit à la force spirituelle des chrétiens. Les membres du Comité d’urgence s’efforcent d’expliquer aux parents et aux enfants qu’il est important de rester, de ne pas s’exiler comme en 1848, qu’« il ne faut pas désespérer, mais croire que demain sera un jour de résurrection. Le désespoir n’est pas chrétien. La résistance est dans les têtes. Les armes ne sont pas la seule solution. »
Fuir « pour aller où ? Se demande Georges, « Pour être exploité dans un pays étranger, qui ne nous reconnaitra jamais pleinement. Si les Palestiniens émigrent, la Palestine disparaîtra. Il faut prendre exemple sur les Ukrainiens, qui résistent pour exister. La présence de l’Église à Gaza, aussi minime soit-elle, est un miracle qui permet d’entretenir la possibilité d’un renouveau. Je n’ai rien à voir avec la politique répète-t-il. Je suis civil. Je veux juste vivre sur ma terre, et prier dans une église avec des droits. De Rome, le Pape François nous appelle tous les jours, pour nous redonner la force de continuer à vivre. »
Il reste environ 700 chrétiens à Gaza, dont sans doute moins d’une centaine de catholiques. C’est peu, mais l’importance se mesure-t-elle seulement au nombre de fidèles ? « Nous assurons une diversité capitale en cette période tragique, rétorque Georges. Ainsi quand j’entends des musulmans dirent, qu’ils ne quitteront jamais Gaza, tant que l’Eglise sera présente, je pense à Jésus, mourant seul sur sa croix … » Pouvait-on alors s’imaginer que plus de 2000 ans plus tard, on compterait plus de deux milliards de chrétiens dans le monde.
Luc Balbont
(*1) notamment ceux d’avril-mai 2021
Cet entretien que j’avais réalisé en avril dernier, a été publié par le site suisse cath.ch le 9 mai 2024.