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HABIB DARGHAM : IL N’Y A PAS D’EXIL HEUREUX
Habib Dargham n’a pas traversé la mer sur un bateau pneumatique pour venir en France. Il n’a pas séjourné dans un camp de réfugiés en Grèce. Il n’a pas non plus été bloqué durant des jours et des nuits dans le froid, tenaillé par la faim, devant une frontière, face à un rideau de barbelés et à une armée de policiers hostile à son passage. Il n’a pas erré dans des rues inconnues, et dormi sous une porte cochère.
A Beyrouth, Habib avait créé sa propre société avec un associé, où il enchainait les reportages, les films publicitaires, les clips, les photos de mode, les évènements officiels ou familiaux comme les mariages. C’était suffisant pour vivre. Mais la crise économique d’octobre 2019 et l’explosion du port de Beyrouth du 4 août 2020 ont ruiné son entreprise. Plus de commandes et des clients insolvables. Avec un dollar, référence monétaire du pays, à 27000 livres libanaises contre 1500 LL avant 2019, impossible de vivre décemment. Habib décide alors de quitter son pays.
C’est en septembre 2020 que le jeune photographe a débarqué à Paris. Auparavant, il n’avait jamais pensé à émigrer. Venu légalement du Liban, avec un visa étudiant temporaire, pour passer un master en photographie de mode dans une école parisienne. Maitrisant parfaitement la langue française, Habib est accueilli par des parents, sans soucis de logistique majeur. La suite est également idéale pour le garçon. Il obtient brillamment son master, puis reçoit dans la foulée le prix Paris Match du jeune photo-reporter, avec un reportage sur la « Révolution libanaise », distingué parmi les 50.000 candidatures reçues par l’hebdomadaire français: la reconnaissance de son travail, qui nous lègue des morceaux d’histoire du Liban et du Proche-Orient (*).
Ces succès et cette installation sans accros n’ont pourtant pas rendu Habib pleinement heureux. Une partie de son être reste encore à Beyrouth. « En émigrant, j’ai, dit-il, perdu la moitié de mon identité».
Si auréolé de son prix, Habib peut envisager une existence paisible et épanouie à Paris, l’art de vivre de sa terre natale lui fait défaut : « la famille, les odeurs, les montagnes alentours, les cafés, où l’on prend le temps de s’éterniser aux terrasses. Ici la vie est stressante. Tout va trop vite. On ne prend pas le temps de déguster un verre avec des amis en pleine journée. De respirer. Le soir, après sa journée de travail on rentre, sans envie de s’attarder et profiter des plaisirs qu’offre la ville » explique le jeune photographe. Mais ce qui lui manque vraiment, c’est la mer, cette Méditerranée qui le faisait rêver, et dont il est privé.
Habib n’est, hélas, pas le seul à avoir choisi la voie de l’émigration. Entre 2019 et 2020, près de 30 000 jeunes Libanais ont quitté leur pays. Et, selon les statistiques, ils étaient 5500 étudiants non binationaux en décembre 2021, chrétiens comme musulmans, à s’être exilés.
Le Liban n’est pas le seul pays arabe touché par ce fléau. Dans la Syrie voisine ou l’Irak, des jeunes, formés et éduqués, s’en vont porter leurs talents et leurs savoirs à l’étranger.
A Beyrouth, Habib projetait de créer une école de photographie. Seize mois après son arrivée, il entame une procédure de régularisation définitive … Reviendra-t-il un jour au Liban réaliser son rêve ?
Luc Balbont
Photo de couverture : ©Habib Dargham Révolution libanaise 2019
(*) Habib Dargham a réuni dans un livre « 17 octobre, le Réveil d’un silence » les photos de son reportage primé par Paris Match sur la révolution libanaise de 2019. Un autre ouvrage sur l’explosion de Beyrouth, qu’il a couvert à l’été 2020 est en cours de préparation.
Son travail est aussi exposé à l’ambassade du Liban à Paris à partir de 25 janvier, et du 2 mars jusqu’au 6 mars, à la galerie de la SPEOS, 8, rue Jules Vallès 75011