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Haut-Karabagh, le pari fou de Gérard Guerguerian.
Avocat au barreau de Paris, diplômé de Sciences Po, spécialiste en droit international, le CV de Gérard Guerguerian, 68 ans, n’est pas celui d’un doux rêveur. C’est pourtant à un projet utopique que ce fils de rescapés du génocide arménien de 1915, s’est attelé : inaugurer un centre culturel francophone à Stepanakert, capitale du Haut-Karabagh. Un pari fou que d’ouvrir un espace dédié aux arts plastiques et littéraires en plein centre d’une ville marquée, fin 2020, par des combats féroces, opposant les armées arménienne et azerbaïdjanaise (plus de 6000 morts en six semaines). Une ville meurtrie, entourée d’hostilités, un territoire à l’avenir incertain … sauf pour Gérard Guerguerian pour qui maintenir une présence arménienne, même fragile, dans cette cité enclavée revêt une importance cardinale.
Le sort de Gérard Guerguerian n’a pourtant tenu qu’à un fil. En mai 1915, pour échapper au génocide son père, Arménien natif de la région ottomane de Cilicie, est mis dans un train : destination Beyrouth. Il sera le seul enfant à réchapper au massacre. Sa mère voit le jour à Constantinople. Le couple se rencontre et se marie au Liban, Gérard Guergerian y naît en 1953, scolarisé chez les Frères de la Salle à Beyrouth jusqu’au bac.
C’est au pays du Cèdre où il vivra dix-sept ans, que le garçon prend réellement conscience de son arménité, et du drame vécu par les siens. « En 1965, pour le cinquantième anniversaire du génocide. 50 000 Arméniens s’étaient rassemblés au stade Camille Chamoun, pour commémorer la tragédie. J’avais 12 ans » Lorsqu’il rejoint la France en 1970, pour y poursuivre des études universitaires, l’Armée secrète arménienne de libération de l’Arménie (ASALA) mène des actions armées jusqu’en Europe (1). Terroriste pour les uns, force de résistance pour les autres, l’ASALA demande l’indépendance de l’Arménie annexée par l’Union Soviétique, après la chute de l’Empire ottoman, et la reconnaissance du génocide par la Turquie.
Un personnage marquera également l’adolescence du garçon, le P. Krikor Guerguerian, un cousin exilé aux Etats-Unis, qui, jusqu’à sa mort en 1988, rassemblera des documents pour conserver la mémoire du génocide. Des évènements qui feront de lui un militant définitif de la cause arménienne.
Si sa fonction de numéro 2 dans une multinationale de 60 000 salariés occupe ses journées, Gérard Guerguerian s’implique le reste du temps à préserver la mémoire arménienne.
Cofondateur en 1978 de Solidarité Franco-Arménienne, il rédige, en 1987, pour le compte du rapporteur sur la question arménienne, le projet de texte qui amènera le Parlement européen à reconnaître le génocide de 1915.
Ce n’est qu’en 1991, année de l’indépendance du pays, libéré du joug soviétique, qu’il se rend pour la première fois de sa vie en Arménie. Mais c’est le Haut-Karabakh, l’Artsakh, qu’il découvre à partir de 1994, qui lui révèle la nature de la véritable identité arménienne : « Malgré une langue et une culture communes, il existe, dit-il, une différence de perspective et de vision, entre une population de l’Artsakh, viscéralement attachée à sa terre, et persuadée d’être l’Arménie authentique, et la République d’Arménie préoccupée par des considérations économiques et affairistes.»
En 2015, il ouvre un café littéraire à Stepanakert, avec le projet d’agrandir le lieu pour en faire un centre culturel de la francophonie : un espace de 800 m2 avec salles de cours, de projections, d’expositions, de conférences, de concerts et trois studios résidentiels pour accueillir des artistes. Coût total : 750 000 euros, « financé pour 1/3 par le fond arménien de France, 1/3 par les villes françaises qui ont signé les chartes d’amitié avec des villes d’Artsakh, et 1/3 par le gouvernement local », précise Gérard Guerguerian. Source d’emploi pour les habitants, le centre ne dégagera pas de bénéfices, « nous serons juste à l’équilibre, » confie son concepteur.
La déroute de l’armée arménienne, et la conquête d’une partie du Haut-Karabakh par les Azéris en novembre dernier n’ont rien changé à sa détermination : « Le centre ouvrira ses portes cet été, » martèle Gérard Guerguerian, en montrant sur son portable l’avancée des travaux … une façon d’affirmer que la culture peut redonner vie à un territoire, que beaucoup croyait perdu.
Luc Balbont
- Le 15 juillet 1983, attentat à la bombe, à l’aéroport d’Orly contre la compagnie aérienne turque « Turkish Airlines », 8 morts , et 56 blessés
A lire « Nagorny-Karabakh, entre sécession et autodétermination « , Gérard Guerguerian