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HAUT-KARABAKH, le drame arménien par Michel Petrossian.

Il ne se faisait pas d’illusion. Dans son livre « Chant d’Artsakh » (1), où il raconte la seconde guerre opposant, dès septembre 2020, l’Arménie à l’Azerbaïdjan, après celle de 1988-1994, le compositeur Michel Petrossian, né à Erevan en 1973, avait prédit l’annexion du Haut-Karabakh par le régime de Bakou.

En cette après-midi de septembre 2023, alors que les résistants arméniens du Haut-Karabakh viennent de déposer les armes, l’homme analyse : « l’Arménie n’est ni une puissance économique, ni une puissance militaire. Les nations démocratiques versent au mieux quelques larmes de crocodile sur son sort, mais aucune n’agit directement. Leur intérêt est de ménager l’Azerbaïdjan, riche en gaz et en pétrole. » Un mutisme général, qui règle le sort d’une partie du dernier territoire chrétien de l’Orient.

Une guerre asymétrique, perdue d’avance, entre un pays d’à peine 30 000 km2 et d’un peu moins de 3 millions d’habitants face à une puissance trois fois plus grande (2), et trois fois plus peuplée, riche en hydrocarbures, et armée d’un équipement militaire ultra moderne (des drones vendus par des pays comme Israël), et de surcroît, aidée par une puissance comme la Turquie et ses mercenaires islamistes (3).

Un conflit qui pousse Michel Petrossian, compositeur reconnu et honoré par plusieurs prix internationaux, à quitter son univers musical pour prendre le stylo, et écrire son premier livre : « j’ai eu envie d’hurler face au mutisme des nations regardant ailleurs, face à la criminalité des marchands d’armes, face au meurtre de jeunes Arméniens, véritable chair à canon, envoyés à l’abattoir contre un ennemi dix fois plus puissant. »

Sur les réseaux sociaux, les textes de Michel Petrossian déclenchent des répercussions. Des amis et des lecteurs lui demandent de publier. Un éditeur suisse, l’Aire, le sollicite. « Chant d’Artsakh » parait en septembre 2021, un an exactement après le début de la guerre, et il reçoit fin 2022, le Grand Prix littéraire de l’Œuvre d’Orient.

Cent-soixante-sept pages d’émotions, qui mêlent la poésie, la philosophie, et le récit truffé de références spirituelles sans tomber pour autant dans « la naïveté bondieusarde ». Petrossian nous fait comprendre le projet turc : effacer la présence d’une démocratie comme l’Arménie, pour la remplacer par une union des pays turcophones islamisés, la préparation d’un empire panturc.

Est-ce sa sensibilité de musicien qui donne aux portraits qu’il décrit un rythme intense ? L’auteur témoigne du drame simplement, sans émotions excessives : Gor Yaralian, étudiant en Jazz au Conservatoire d’Erevan, parti au front à 19 ans, et qui ne reviendra jamais, Shant Navoyan qui voulait étendre ses racines à Erevan, avant de mourir dans une tranchée de l’Artsakh. Cette jeune fille qui ne sait pas se servir d’un fusil, mais veut partir pour servir des cafés aux combattants. Narek, tout juste âgé de deux ans et demi, qui se cache pour éviter les drones azéris. Ashot Sarian, qui préfère mourir dans sa maison de Chareqtar, conquis par l’armée azerbaïdjanaise plutôt que de fuir comme un pleutre.

« J’avais toujours rêvé de me rendre à l’église de Vankassar. Conquise aujourd’hui par l’ennemi, je ne pourrai jamais y aller », s’attriste le compositeur.

Pour l’Arménie, les difficultés s’amoncellent. Comment héberger ses prochains jours plus de 120.000 réfugiés expulsés du Haut-Karabakh ? Un poids supplémentaire pour un petit pays à l’économie exsangue. Personnalité universelle qui revendique ses racines arméniennes et son identité française, ainsi que ses penchants pour les cultures hébraïque, russe et iranienne, Michel Petrossian ne désarme pas : « Vous nous privez des terres, nous habiterons le monde. »

Encadré

Le Haut-Karabakh en quatre dates

 1921 : Staline rattache le Haut Karabakh, région de l’est de l’Arménie, majoritairement peuplée d’Arméniens, à la République soviétique d’Azerbaïdjan.

 1988 – 1994 : une première guerre oppose les deux pays. Victorieuse avec l’appui de la Russie au lendemain de la fin en 1991 de l’URSS, l’Arménie conserve le Haut-Karabakh, un territoire de 4400 km2.

 2020 : en septembre, une seconde guerre oppose les deux pays. L’Arménie est cette fois est balayée en six semaines.

Le 20 septembre 2023, l’armée du Haut-Karabakh dépose définitivement les armes.

Luc Balbont

  1. Editions de l’Aire, paru en septembre 2021

2. Azerbaïdjan : 86.600 km2 ; 10.200.000 habitants – Arménie : 29.743 Km2 ; 3 021 324 habitants

3. Notamment Syriens et tchétchènes