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Katia Khayat : "A Alep aujourd'hui, c'est pire que pendant la guerre civile"

Sur la photo, Katia Khayat, entourée de Joude et Cynthia, ses deux filles émigrées en France et au Canada, qu’elle n’avait plus revues depuis 7 et 5 ans, irradie de bonheur. La séparation des familles, c’est le drame des Alepins. Manquer de tout, ne pas manger à sa faim, traverser des pénuries interminables sont encore acceptables, mais dans un pays comme la Syrie, où, à l‘instar des pays d’Orient, la famille est l’élément central de la vie, ne plus voir ses enfants, partis à l’étranger pour s’assurer un avenir décent, reste insupportable. « Dans ces moments de tristesse et de vide, seule la Foi est un secours solide. Nous avons été bombardés. J’ai frôlé la mort à plusieurs reprises. Autour de nous des amis de mes enfants ont été tués. Mais Dieu nous a toujours protégé. » confie cette chrétienne maronite à la foi inébranlable. « Presque tous nos jeunes, chrétiens comme musulmans sont partis d’Alep, il ne reste que les vieux, et ceux qui, sans moyen, ne peuvent pas payer leur voyage. »  Katya a eu le courage de ne pas fuir : « les sœurs de mon mari vivent seules. Il se sentait responsable. Nous avons vécu sur place quatre années dans la peur. »

Lorsque la guerre civile éclate en 2011 au sud de la Syrie, Katya Rhayat, est déjà grand-mère, et à 57 ans, comme beaucoup d’Alepins, elle ne pense pas que sa ville natale soit vraiment menacée. « Je croyais à un conflit mineur, qui ne toucherai que Deraa, au sud ; qu’il resterait circonscrit à cette région. » Comme la majorité des Syriens, elle se trompe.

En 2012, la ville est coupée en deux entre les groupes rebelles à l’est, pour beaucoup des terroristes venus de l’étranger, et l’armée gouvernementale à l’ouest. Alep subit ses premières destructions. Fin 2014, l’Église Saint-Élie, sur la ligne de démarcation n’a plus de toit. Il faut attendre 2016, pour que la ville soit reprise par le pouvoir.

Katya a la nostalgie de l’Alep d’avant la guerre. Les images ne la quittent pas. « C’était, dit-elle, la plus belle ville de Syrie. Ses rues, son soukh, sa forteresse, la beauté de ses églises et de ses mosquées, mais aussi toute sa vie culturelle, les festivals, les concerts. Il existait entre les familles de différentes religions une réelle cohabitation. On ne manquait de rien. Quatre années de guerre ont tout détruit. »

En 2016, le pouvoir reconquiert la ville. Les armes se taisent peu à peu, mais la ville n’est que ruines, et les conditions de vie, pires que pendant les années de conflit. Durant la guerre, l’aide alimentaire parvenait régulièrement, mais aujourd’hui avec les sanctions imposées par l’Europe occidentale et les États-Unis, les convois sont bloqués. Ces interdictions ne pénalisent pourtant que les populations et les pauvres gens, pas les responsables. « Nous vivons au jour le jour. Chaque matin, quand je me lève, je vois des gens se cacher pour fouiller les poubelles, afin de se procurer à manger. Les salaires mensuels pour les rares travaux possibles ne dépassent pas les 20 euros. Les médicaments sont rares et hors de prix. Beaucoup de parents ne pourront pas envoyer leurs enfants à l’école. Mais le plus dur nous attend avec l’hiver, et le manque de fuel, dans un froid glacial. »

Pourtant ce qui préoccupe et ronge Katya Khayat, c’est la réconciliation humaine : « On reconstruit facilement les pierres des bâtiments, et à Alep, les travaux ont déjà commencé, mais des âmes stigmatisées par l’effroi, la haine et les souffrances sont plus longues à cicatriser. »

Luc Balbont