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L’influence turque au Liban

Intervenante en Irak et en Azerbaïdjan, occupante en Syrie, présente en Libye, agressive en Méditerranée orientale face à Chypre et à la Grèce, la Turquie tente de pousser son emprise au Liban, montrant ainsi qu’elle reste une puissance qui compte sur l’échiquier politique mondial. La preuve en est démontrée par Omar Dargham, un jeune avocat libanais, auteur d’une étude solide et documentée sur l’influence turque au Pays du Cèdre, soutenue à l’Institut français de géopolitique, à l’Université Paris 8, (voir note en bas de page).

C’est en 2010, au cours d’une randonnée avec ses amis dans le Akkar, une région délaissée du nord-Liban, qu’Omar Dargham découvrait Kouachra, une petite ville située à 36 kilomètres de Tripoli. Sur les murs d’un grand nombre de maisons, s’étalaient des drapeaux turcs rouges, ornés d’une étoile et d’un croissant blanc. Ce passionné de géopolitique, alors âgé de 22 ans, se rend compte que les gens de Kouachra parlent entre eux un dialecte turc. Et pour cause, les 4000 habitants de ce gros bourg libanais sont tous turkmènes.

Kouachra

A dix minutes de voiture de Kouachra, se dresse Aïdamoun : 3000 habitants, où 75% de Turkmènes cohabitent pacifiquement à côté d’une petite communauté chrétienne. « C’est d’ailleurs à Aïdamoun qu’est né Tarek Bitar, le juge chrétien, chargé de l’affaire de l’explosion du port de Beyrouth en août 2020, » précise le juriste-randonneur. Fin 2021, intrigué par cette présence turque dans son pays natal, il décide d’entreprendre un mémoire universitaire sur le sujet. « Stratégiquement, confie Omar, c’est à partir de ces deux territoires du Akkar, que l’AKP, le Parti islamo-conservateur de la justice et du développement du président Erdogan, au pouvoir depuis 2002, s’efforce de s’attacher les sunnites libanais, afin de renforcer sa position dans le Bassin méditerranéen. »

Malgré une crise économique profonde, une dévaluation sans précédent de la monnaie, une inflation record, et la gestion désastreuse des dégâts provoqués par le séisme de février dernier, les électeurs gardent leur confiance en Erdogan. Peut-on affirmer, que la politique extérieure sauve le Raïs ?

défilé libano-turc

Dès son arrivée au pouvoir en Turquie, il y a plus de vingt ans, l’AKP, le parti présidentiel entame un programme d’aide continue au Liban. Un soft power consistant à soutenir et à financer des projets culturels et économiques. Une politique de séduction payante, brièvement résumée par Omar Dargham, « ouvertures d’écoles où le turc est enseigné, offre de bourses d’études à des étudiants libanais essentiellement sunnites, investissements dans différents secteurs de l’économie libanaise. Un des hôpitaux de Saïda, au sud, spécialisé dans le traitement des brûlés a par exemple été financé par la TIKA, l’agence d’état turque pour le développement et la coopération, à hauteur de 20 millions de dollars. »

Une volonté gouvernementale qui rencontre pourtant maintes oppositions communautaires au Liban. D’abord celles d’une grande partie des Chrétiens, notamment des nombreux Arméniens du Liban, victimes en Turquie de répressions génocidaires par le passé, mais aussi et surtout des réticences des dirigeants chiites, méfiants face au pouvoir sunnite autoritaire d’Ankara. Quant à la communauté sunnite, elle préfère l’Arabie Saoudite, arabe et partenaire privilégié du Liban.

Il n’y a pourtant aucune raison que les rapports turco-libanais diminuent, au lendemain des élections. Car même si Erdogan était battu lors de la présidentielle fin mai, ce qui serait fort étonnant au vue des résultats du premier tour, les relations entre le Pays du cèdre et Ankara, dont les exportations vers le Liban ne cessent de croître (1,86 milliard de biens divers en 2021), perdureront quoi qu’il arrive : une pièce maîtresse pour atténuer une partie des déboires économiques de la Turquie.

Luc Balbont       

Note : « La Turquie, acteur sur la scène politique libanaise » mémoire universitaire, soutenu à l’institut français de géopolitique, université Paris 8