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La révolte des Libanais

Depuis le 17 octobre, les Libanais sont dans la rue. Face à un peuple en demande de  citoyenneté, des chefs de partis politiques corrompus entendent bien conserver leurs privilèges. 

Pays paralysé, barrages sur les routes, écoles et banques fermées, une livre libanaise au bord de la dévaluation, et pas le moindre dollar, la monnaie référence du pays, dans les distributeurs…  Mais danses, chants, et forums continus sur les places des villes. C’est le 17 octobre, que la colère a éclaté, au lendemain d’une annonce du ministère de la Communication imposant une taxe sur la messagerie WhatsApp, à tous les utilisateurs. 

En s’étendant rapidement, la révolte a surpris Fady Noun, journaliste au quotidien L’Orient Le Jour, qui ne s’y attendait pas : « le mouvement de 2005 qui réclamait le départ des troupes syriennes, n’avait touché que Beyrouth. La révolution de 2019 embrase cette fois l’ensemble du pays. En 2005, l’ennemi était la Syrie. En 2019 c’est la corruption.» 

Dimanche 27 octobre, au XIe jour du mouvement, une chaîne humaine de 171 km, allant de Tripoli, au nord, à Tyr, au sud, a rassemblé des milliers de Libanais de toutes confessions (170 000 selon les organisateurs). Main dans la main, les participants ont demandé pacifiquement, dans une ambiance de fête, la démission d’un gouvernement corrompu. Dans certaines localités du sud, tenues par les deux partis politiques chiites (Hezbollah et Amal), des habitants n’avaient pas hésité se joindre à la chaîne, bravant les interdictions imposées par leurs dirigeants, hostiles au changement. Ainsi Hussein (*), 36 ans, de Nabatiyeh, fief du Hezbollah pro iranien, se dit bien conscient du risque qu’il court en défiant les ordres des chefs, « mais si je veux  un avenir pour mes enfants, ma place est ici.  Le Hezb et Amal nous maintiennent dans un système confessionnel. Nous, nous voulons un Liban citoyen uni». Tout le symbole de cette révolution.

Que veulent ces milliers de manifestants ? Tout simplement un Etat de droit avec des services publics décents et accessibles… Que rejettent-ils ?  Le système clientéliste d’un Liban dirigé de père en fils depuis toujours par les mêmes familles, qui confessionnalisent le pays pour mieux se partager postes et richesses. Dans son allocution télévisée du 24 octobre, le président Michel Aoun, au bout du rouleau, avait présenté ses excuses pour « n’avoir pas pu éradiquer le confessionnalisme et la corruption, comme il l’avait promis dès son retour au Liban en 2005 »

La démission du Premier ministre Saad Hariri du 29 octobre n’a pas démobilisé les protestataires. « Nous resterons jusqu’à ce qu’un nouveau gouvernement soit nommé, prévient Alain, un jeune maronite de Jbeil, un gouvernement d’experts et non d’incompétents aux mentalités claniques.» 

Le soutien de l’Eglise maronite à la révolution 

Au Liban, la joie se mêle pourtant à l’inquiétude, d’autant que les deux partis chiites, Hezbollah et Amal, afin de préserver leurs intérêts de caste, prônent le statu quo. Et que, l’un et l’autre, ont la capacité de détruire par la force, avec leurs milices, ce fol espoir de citoyenneté.

Le 12 novembre, la seconde intervention télévisée du président Michel Aoun n’a pas calmé la rue, au contraire. Paralysé par l’éternelle  lutte  des clans, et miné par  le confessionnalisme, le pouvoir paraît tétanisé. Après 29 jours de révolte, le Liban n’a toujours pas de Premier ministre. Et la première victime, tuée par un policier à un barrage routier dans la banlieue sud de Beyrouth, a décuplé la colère populaire.  

Malgré les incertitudes, le cardinal Béchara Raï, chef de l’Eglise maronite, la plus grosse communauté chrétienne du pays, soutient fermement le mouvement. Au patriarcat de Bkerké, dans ses homélies dominicales, le Patriarche rappelle en permanence « qu’il faut écouter les revendications des manifestants,» qualifiant « de positive » la révolution présente. 

Luc Balbont

(*) Le prénom a été changé