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Le cri de l’Eglise d’Algérie aux Eglises d’Orient « Nous existons aussi ! »
Alger. Sur les hauteurs du quartier d’El Biar se dressent les bâtiments de la maison diocésaine. Le père Raphaël Aussedat arrive en moto, casqué et en col romain. Intrigué par ma présence, il engage la conversation. Notre échange tourne très rapidement autour des chrétiens du monde arabe. Le père Raphaël insiste : « Puisque vous collaborez à l’œuvre d’Orient, dites leur bien que les Eglises arabes ne s’arrêtent pas à l’Egypte. Qu’il existe aussi une Eglise en Algérie.»
Invité par ce jeune prêtre de l’Eglise d’Algérie le soir même dans une salle paroissiale, à souligner l’importance de la présence chrétienne dans le monde arabe, la vingtaine de personnes présentes auront des récriminations similaires à celles du Pere Aussedat. Sadek un converti quinquagénaire sera le plus virulent : « pourquoi les Orientaux nous ignorent-ils ? S’il est vrai que nous ne sommes pas, comme eux, à l’origine du christianisme, je veux leur rappeler que nous sommes là depuis le lI ème siècle, et que nous sommes l’Eglise de saint Augustin, l’un des plus grands théologiens de l’histoire du christianisme (*1). »
Étonnante communauté que ces chrétiens d’Algérie, 0,2% sur 43 millions d’habitants selon des estimations ; faites en grande partie d’expatriés d’Occidentaux ou Africains, mais aussi d’une poignée d’autochtones restée en Algérie après l’indépendance de 1962, et de convertis, dont le nombre reste inconnu. En Algérie, comme dans la majorité des pays musulmans, « si on ne change pas de religion », il n’en reste pas moins que, selon l’entourage, certains portent ouvertement leur foi chrétienne, notamment en Kabylie (*2), mais la majorité préfère rester discrète, comme Tarek, un professeur d’université. « Cette année à Noël, raconte-t-il, mes collègue se sont étonnés de voir que je posais une demi-journée de congés. Je leur ai expliqué qu’une de mes nièces était sur le point d’accoucher, et j’ai pu assister à la messe. Après tout, ironise-t-il, c’était une histoire de naissance, je n’ai menti qu’à moitié. »
A Blida, ville à l'ouest d'Alger, Batoul, 21 ans, n’a jamais osé avouer à son amie intime qu’elle était chrétienne, que sa foi lui avait été transmise à elle et son jeune frère par des parents convertis. « Je lui ai juste confiée que je portais un grand secret, que je lui avouerai un jour.»
Les 132 ans de colonisation française, mais surtout la guerre civile qui a frappé l’Algérie entre 1991 et 2000, opposant l’armée aux commandos islamistes a rendu les chrétiens d’Algérie encore plus prudents. Le bilan est lourd : entre 100 000 et 200 000 morts. Si le pouvoir est plutôt tolérant envers l’Eglise officielle, la communauté chrétienne fait profil bas. Ainsi pour la cérémonie annoncée mais encore non programmée, qui commémorera l’assassinat des 19 martyrs de l’Eglise, victimes du terrorisme (*3) durant les années noires.
Si le gouvernement algérien a donné son accord, les évêques insistent pour que la cérémonie se fasse dans l’humilité, en unifiant les victimes chrétiennes aux milliers de morts musulmans (dont plus de 100 imams). L’Eglise craint une réaction hostile de certains responsables musulmans et une récupération de la droite dure française.
« C’est le constat de toutes nos difficultés, résume Sofiane. Et c’est pourquoi comme mon ami Sadek, je déplore le manque d’intérêt des Eglises d’Orient à notre égard, car nous avons besoin de leur soutien. »
Luc Balbont
(*1) Né en 354 à Souhk Arach, à l’est de l’Algérie, près de Constantine.
(*2) Chrétiens de Kabylie. Vivre sa foi en terre d’islam. Reportage de Luc Balbont. Pèlerin N° 6196 du 31 août 2001
(*3) 19 religieuses et religieux ont été assassinés entre 1994 et 1996, dont les sept moines de Tibhirine. Voir https://www.eglise-catholique-algerie.org/
Crédits photos : Fabio Bertagnin