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Le Liban, modèle de liberté dans la région

Entretien avec Mgr Boulos Matar, archevêque maronite émérite de Beyrouth

La révolution libanaise  d’octobre 2019  le démontre. Beaucoup de jeunes Libanais remettent en cause la répartition du pouvoir par confessions, issue du pacte de 1943. Dans les manifestations, un grand nombre plébiscite une société civile, voire laïque…

Le constat fait aussitôt réagir Mgr Matar, archevêque maronite émérite de Beyrouth : « Avant d’instaurer une société civile au Liban, prévient-il,  il faut  considérer  la situation régionale. Toutes les constitutions des pays arabes qui nous entourent sont favorables à l’islam. La Chari’a y prédomine sur la juridiction civile.  Le Liban reste le seul pays du Proche-Orient où la loi islamique n’a pas cours, le seul pays où la constitution insiste sur la liberté religieuse et la liberté de conscience. Si on supprime ce pacte confessionnel au profit d’un système électif majoritaire, les chrétiens, minoritaires,  risquent de se retrouver dans une situation de communauté tolérée, comme les autres églises chrétiennes des pays arabes. D’où ma méfiance à l’égard d’une citoyenneté préparée dans l’urgence. » 

Le religieux poursuit en donnant l’exemple de la Turquie : «  après l’effondrement de l’Empire ottoman, au début du XXème siècle, l’Etat turc était devenu constitutionnellement laïc, une laïcité pure et dure à l’égard de toutes les religions. 100 ans plus tard, le pouvoir s’est islamisé. Il transforme aujourd’hui ses églises en mosquées. Les chrétiens  sont marginalisés, et les opposants laïcs emprisonnés. Quel retour en arrière ! »

Pour Mgr Matar, même si le confessionnalisme fait obstacle aux réformes, dont le Liban a besoin pour sortir de la crise, la prudence reste de rigueur: « S’il faut aller vers une citoyenneté pour dépasser  ces blocages qui ronge le pays, admet-il, on doit bien réfléchir pour déterminer quelle forme prendrait cette nouvelle société. » … Et de rappeler : «  En 2010, nous avions organisé un synode pour les Églises catholiques arabes. Il ressortait que si nous étions  unanimement d’accord pour nous tourner vers la citoyenneté et la laïcité, nous concluions aussi qu’il faudrait beaucoup de temps pour changer les mentalités claniques de nos pays. Dans une société civile équitable, les chrétiens doivent pouvoir continuer à participer à la vie publique, et ne pas se retrouver relégué à un rôle marginal, voire inexistant dans un monde arabe majoritairement musulman. »

 L’idéal, selon le religieux, serait de construire « une laïcité positive qui prendrait en compte la religion sans l’exclure totalement comme en France. Nous rêvons tous d’un pays uni autour du bien commun, nous espérons tous voir des citoyens, qui se reconnaissent dans une nation avant de se définir par leur communauté. A dessein, nous devons faire de la pédagogie. Ne pas oublier aussi que les communautés musulmanes, chiites comme sunnites, sont hostiles à la séparation du religieux et du politique. Il sera dur de les convaincre des bienfaits de la sécularisation. »

N’y-a-t-il pas pourtant, aujourd’hui, un état d’esprit diffèrent chez les musulmans libanais ? « Chez les jeunes sans doute, répond  l’archevêque,  mais les responsables et les chefs de ces communautés campent fermement sur leur credo. Pour eux une société civile séparée de la loi islamique reste impensable. Au Liban, rien n’est possible actuellement sans le Hezbollah, qui est à la fois un parti politique bien organisé, une milice armée très puissante, et une communauté religieuse très identitaire  pour laquelle la laïcité va à l’encontre de la société dont il rêve. »

En conclusion, Mgr Matar affirme pourtant croire encore au changement : «  L’espoir est chrétien, martèle-t-il, mais la précipitation, je le répète, exposerait les chrétiens au pire. ... Malgré son système confessionnel, le Liban reste un modèle de liberté dans la région. »,   

Propos recueillis par Luc Balbont  

(*) Interview parue dans le n° 801 de la revue de l’Œuvre d’Orient d’octobre 2020.