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L’Égypte de Sœur Emmanuelle
Est-ce un hasard, si revenant d’un pays où pour fuir la guerre et la pauvreté des hommes, des femmes et des enfants s’entassent dans des camps de misère, je tombe sur le portrait de Sœur Emmanuelle, placardé sur un mur par l’association ASMAE (*), qu’elle avait fondé en 1980 ?
C’est en Egypte, dans les années 1970, alors qu’elle enseignait le français dans un lycée huppé du Caire, que la religieuse des Sœurs de Sion, décédée en 2008 à l’âge de 100 ans, avait découvert ces mêmes ghettos habités par des chiffonniers.
Bouleversée, elle n’aura de cesse de vouloir partager la vie de ces parias, dont le seul moyen de survie est de collecter, et de trier dans les poubelles des quartiers bourgeois, les matières recyclables pour les revendre aux ferrailleurs.
Ils sont des milliers à vivre sur ce cloaque aux odeurs pestilentielles. Un enchevêtrement de pauvres baraques en taules, où les familles se poussent pour dormir le soir, cohabitant avec les mouches, les ânes et les rats. Pas d’eau, ni électricité, et surtout pas d’écoles pour apprendre aux enfants à lire. Des enfants voués de toutes les façons, à devenir chiffonniers et analphabètes comme leurs parents.
Quand la religieuse reçoit enfin, la permission de sa congrégation de rejoindre les chiffonniers, elle a 62 ans. A l’âge où tant de gens aspirent à la retraite, Emmanuelle entame sa deuxième vie. Durant vingt-deux ans, elle s’acharnera à améliorer le quotidien de ces hommes poubelles noyés dans des océans d’ordures, de vieux papiers, de plastiques et de ferrailles coupantes. Elle distribue des aides, lance de multiples projets, et s’efforce surtout à redonner à ces chiffonniers l’estime d’eux-mêmes.
Emmanuelle insiste beaucoup sur l’éducation, centre de ses priorités. A dessein, elle construit des écoles. Mais dans une société patriarcale le plus dur pour elle était de convaincre les chefs de famille. Envoyer ses enfants à l’école mais comment et avec quels moyens ? Et à quoi bon apprendre à lire pour un fils ou une fille de chiffonnier ?
Emmanuelle parcourt aussi la France et certains pays européens, à la recherche de fonds pour financer ses projets. Beaucoup lui reproche alors de raffoler des médias et d’y tenir un rôle « indigne » pour une religieuse. D’autres blâment son manque d’engagement contre les dictatures des pays où elle passe.
C’est en me rendant sur place, en 2004, que j’ai compris que son appétit médiatique était pour elle une stratégie, afin de collecter l’argent nécessaire à la poursuite de sa mission. Et qu’elle avait perçu, que ce n’était pas en affrontant frontalement les dictatures, mais en travaillant par le bas, progressivement, et dans la durée qu’on pouvait changer les régimes.
Lors de mon séjour sur le lieu même où Emmanuelle avait vécu, je me rappelle des propos de Adil, qui a cinq ans ramassait les ordures avec son père: « J’avais entendu parler d’elle par les chiffonniers, mais j’étais sceptique. Comment une femme, vieille et étrangère, avait pu construire une école, une maternité, un dispensaire, un jardin d’enfants. J’ai été quand même la voir. Elle habitait un taudis comme nous, mais à l’intérieur tout était propre et bien rangé. J’ai compris ce jour-là que notre sort n’était pas scellé, que nous pouvions changer notre vie. Je suis retourné à l’école.» Aujourd’hui, Adil est directeur d’une école d’Etat
Luc Balbont
- (*) ASMAE : Association Sœur Emmanuelle