« Les chrétiens vivent sereinement en Jordanie » Interview de Mgr Maroun Lahham

Né en 1948 à Irbid, au nord de la Jordanie, Mgr Maroun Lahham, évêque auxiliaire et vicaire du patriarche latin de Jérusalem pour la Jordanie depuis 2012, se veut rassurant pour les chrétiens du pays.

L’instauration d’un Califat par l’État islamique (le Daech) dans la Syrie et l’Irak voisins, menace-t-elle la communauté chrétienne jordanienne ?

Non ! D’abord parce que le Daech qui est sur la défensive en Irak et en Syrie, n’a pas intérêt à ouvrir un troisième front. Qu’ensuite la Jordanie qui n’a ni gaz ni pétrole, ne représente pas un grand intérêt. Enfin que le gouvernement jordanien, soutenu par les États-Unis, est fort et structuré, doté d’une police, d’une armée et d’un service de renseignement efficaces.

Un nombre important de jeunes Jordaniens (entre 2000 et 6000 selon les sources) ont pourtant rejoint les rangs des combattants djihadistes en Syrie et en Irak, et le chef d’Al Qaida en Irak, Abou Moussab al-Zarkaoui, tué en 2006, était jordanien …

Dans tous les pays arabo-musulmans on trouve des sympathisants djihadistes, qui se recrutent parmi les précaires et les déçus des régimes. Des jeunes pour beaucoup, en mal de vivre, qui tentent de se donner des raisons d’espérer, en se réfugiant dans l’intégrisme religieux. Si la Jordanie n’échappe pas à ce problème, la majorité de la population reste insensible aux appels des extrémistes.

Pourquoi selon vous, les musulmans jordaniens restent en dehors de l’extrémisme, alors que les pays voisins y tombent ?

L’islam sunnite jordanien est un islam serein, attaché fortement aux traditions tribales. Les tribus restent fidèles au Roi, bien plus qu’aux discours des prêcheurs venant de l’étranger. Le Roi rappelle souvent l’importance jouée par la communauté chrétienne. Le Prince Hassan, l’oncle du souverain organise régulièrement des rencontres et des colloques islamo-chrétiens.

Contrairement aux pays qui nous entourent, nous n’avons pas non plus de communauté chiite concurrente, susceptible d’engendrer des conflits meurtriers avec les sunnites, un fléau aujourd’hui dans la région.

Les chrétiens jordaniens sont-ils tentés, comme leurs frères des pays voisins, par l’émigration (*) ?

Le phénomène reste minime en Jordanie. Preuve que la vie des chrétiens est paisible dans le pays. Nos communautés émigrent quand il y a des problèmes : guerre, crise économique, insécurité. En Jordanie nous vivons paisiblement. C’est une chance car l’émigration n’est pas la solution.

 Recueillis par L.B

(*) Le centre de presse catholique d’Amman estime à 70 000, le nombre des chrétiens jordaniens, installés à l’étranger.

---

Et si on refaisait l’histoire

Quand on parle de la Jordanie, il faut rappeler que les Hachim, la famille royale régnante depuis 1946 à Amman, vient d’Arabie saoudite. Hussein l’arrière-grand-père de l’actuel Roi Abdallah II, dont la lignée régna sur la Mecque dès 1343, en fut chassé avec l’accord tacite des Anglais par la tribu d’Ibn Séoud, des bédouins du Nedj (nord du Royaume saoudien), en 1924. Pour se faire pardonner, le gouvernement britannique installa sous son autorité, deux des fils du chérif Hussein sur les trônes irakien et jordanien. C’est ainsi que Abdallah 1^er devint roi de la Transjordanie, future Jordanie.

Imaginons que le gouvernement britannique ait tenu sa promesse de maintenir le chérif Hussein dans son fief mecquois, et de lui donner un grand royaume arabe en récompense de son aide apportée au Royaume-Uni contre l’armée ottomane, alliée de l’Empire allemand, lors de la première guerre mondiale. Le Roi hachémite Abdallah II serait aujourd’hui roi d’Arabie saoudite. La face du monde en aurait été sûrement changée … Il est bon parfois de refaire l’histoire ! L.B