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« Les constitutions des pays musulmans, un obstacle pour la citoyenneté »
Rencontre avec Wassim Harb, juriste.
Été 2016. L’apparition du burkini, le costume de bain islamique qui recouvre intégralement le corps des musulmanes sur les plages, met la France en émoi. Des maires montent au créneau pour l’interdire dans leur municipalité. L’affaire devient nationale. Débats politiques, passes d’armes entre intellectuels ; experts, sociologues, féministes, s’affrontent vivement autour de la question. Faut-il tolérer, doit-on interdire ? À Beyrouth, le juriste Wassim Harb s’étonne. Cet avocat, expert en droit international, né en 1946 à Tannourine, au Liban, fondateur du Centre Arabe pour le Développement de l’État de Droit et de l’Intégrité (ACRLI *) dans les pays majoritairement musulmans, ne comprend pas pourquoi la France s’agite sur « un problème mineur », alors que tant d’autres dossiers portent atteinte au vivre-ensemble, et font obstacle à l’instauration d’une citoyenneté authentique dans le monde arabe. Wassim Harb met l’accent, entre autres, sur les constitutions de ces pays.
Grand connaisseur de la question, pour avoir participé à la rédaction de certains textes constitutionnels avec l’ACRLI, au lendemain des révolutions arabes de 2011, Wassim Harb est capable de citer tous les articles fondamentaux qui empêchent l'avènement d’une société civile durable. « Exceptés le Liban dont le président est obligatoirement chrétien maronite (*2) et la Tunisie où la nouvelle Constitution de 2014 donne à tous les citoyens la liberté de culte, et admet que la charia (NDLR : loi musulmane) ne peut pas constituer le fondement premier de la justice (*3), tous les autres pays arabes affirment la suprématie du droit musulman comme source principale, ou, au mieux, dans sa version édulcorée, comme l’une des sources principales de toute législation. » À partir de là, « toute citoyenneté est impossible, puisque le non-musulman doit se plier au diktat de la loi islamique », regrette le fondateur de l’ACRLI.
Pour lui, tout vient de la culture orientale. En l’absence de véritables États de droit garantissant l’égalité et le droit, les peuples arabes se replient d’une part sur la religion et la justice divine ; de l’autre sur la tribu familiale qui leur assure la sécurité de vivre dignement. Il cite un proverbe arabe pour illustrer son propos : « supporte ton frère qu’il soit tyran ou tyrannisé, fautif ou non. »
Pourtant en homme de raison, qui sait remettre l’histoire humaine en perspective Wassim Harb ne désespère pas. Les mentalités ne restent jamais figées, et les cultures évoluent au fil du temps. En Islam, s’élèvent des voix de plus en plus nombreuses de réformateurs qui osent critiquer les textes, les institutions, et les personnalités religieuses qui refusent la modernité. « Il n’y a pas que des extrémistes qui partent rejoindre le jihad, il existe aussi aujourd’hui, un grand nombre de jeunes arabes, formés et éduqués, qui ne sont plus musulmans comme l’étaient leurs parents jadis », insiste l’avocat…
Pareillement des organisations et des associations citoyennes apparaissent depuis quelques années, au Maghreb comme au Machrek. Conférences, ateliers, séminaires, sites, publications, bases de données voient le jour, remettant en cause la tribalité stérile de ce monde. Clandestinement, voire en exil quand ces structures démocratiques sont brimées par des régimes autoritaires, elles agissent et bousculent les conservatismes, « il faut absolument en parler », martèle le juriste. Depuis sa création, en 2003, L’ACRLI de Wassim Harb s’y astreint. Elle les protège, les défend, et diffusent leurs travaux auprès du public. Toute sa mission et sa philosophie.
Luc Balbont.
(*1) « Arab Center for the and development of the rule of law and integrity » en anglais. Cette organisation laïque dont le siège est à Beyrouth regroupe des avocats, des juristes et des universitaires arabes de toutes confessions, défenseurs des droits de l’homme et de l’Etat de droit dans les pays arabes.
Site - www.arabruleoflaw.org
(*2) Depuis l’indépendance du pays en 1943, les fonctions principales se répartissent par confessions. Un président chrétien maronite, un premier ministre musulman sunnite et un président de l’Assemblée, musulman chiite, les trois principales confessions du pays.
(*3) Abdeljalil Ben Salem, ministre tunisien des Affaires religieuses a cependant été limogé le 4 novembre 2016, après avoir demandé publiquement à l’ambassadeur d’Arabie saoudite à Tunis de réformer les programmes scolaires saoudiens valorisant le wahhabisme, source historique du terrorisme islamique. Sa mise à l’écart a provoqué de vifs débats dans la société tunisienne.