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Libami : une ruche de tendresse au cœur de Beyrouth

Fin février, notre collaborateur Luc Balbont qui réside au Liban une bonne partie de l’année, a passé une journée dans les locaux de l’association Libami, aidée par l’Œuvre d’Orient. Impressionné par le travail réalisé, il raconte.

Une ruche de tendresse et de générosité nichée dans un immeuble gris d’un quartier populaire de Beyrouth. Voilà définie en une phrase l’association Libami, fondée en pleine guerre civile libanaise par deux idéalistes. Presque trente ans plus tard, Libami soutient plus de 330 familles pauvres et scolarise 447 enfants en situation précaire, avec un dévouement et une humanité exceptionnels.

Tout a commencé en 1986, par un cri d’alarme. Nohad Azzi, une chrétienne originaire du village martyr de Damour (*1), lance un appel pressant à Francis Leduc, un prêtre français qui vit au Liban depuis vingt ans. Il fallait sauver un homme qui venait de sauter sur une mine, une opération coûteuse pour une famille sans moyen. Francis Leduc, Père blanc, qui enseigne la Théologie morale à l’Institut supérieur des études religieuses à l’université Saint Joseph de Beyrouth, sollicite ses amis en France, et finit par réunir et envoyer une somme de 2 000 francs (*2) à Mme Azzi. L’homme est sauvé. Dans ce Liban des années 1980, où la guerre fait rage, la bonne nouvelle se propage. Le bouche à oreille fonctionne. Les familles frappent à la porte de Nohad Azzi et de Francis Leduc. Le duo décide alors de poursuivre l’action. En France, dans la ville de Cholet (Maine-et-Loire), des parents et amis du P. Jacques Bodet, un confrère Père blanc du P. Leduc, créent l’association “Libami Cholet”, en lien avec le Liban. C’est ainsi que LIBAMI voit le jour, en 1987, avec le Père Francis Leduc comme président.

[caption id="attachment_553" align="alignleft" width="600"] Rue Nabaa à Beyrouth, où habitent certaines familles aidées[/caption]

Les premières années de la nouvelle association se passent dans un petit appartement du quartier de Nabaa, au nord de Beyrouth, prêté par les sœurs de la Charité de Besançon. Forte de sa philosophie originelle, “d’aider les familles les plus pauvres parmi les pauvres”, Libami accueille un nombre grandissant de personnes dans le besoin. Des personnes de cet autre Liban, de ce Liban pauvre qui n’a rien à voir avec les quartiers chics du centre de Beyrouth, ses magasins de luxe, ses grosses voitures aux vitres teintées, et ses belles villas du littoral ou de la région du Kaisrouan. “Il existe deux Liban bien différents, explique Nohad Azzi. Les Libanais que vous rencontrez en Europe n’ont rien à voir avec la plupart de ceux qui vivent ici. Notre pays est en crise, et beaucoup de familles vivent dans une précarité extrême. Chez nous, la pauvreté gagne du terrain.”

Les statistiques sont éloquentes. En 2003-2004, Libami assistait 112 familles, en 2014-2015, le chiffre a été multiplié par trois (*3). “ Nous pourrions soutenir davantage de personnes, confie Mme Azzi. Notamment les réfugiés syriens qui représente plus de 25% de notre population, mais nous n’avons pas le budget qui nous permettrait d’effectuer un travail durable pour ces nouveaux arrivants nécessiteux.”

[caption id="attachment_554" align="alignleft" width="1024"] Distribution de lait aux familles[/caption]

Dans les années 2000, grâce à la générosité d’un donateur, Libami achète deux appartements, dans ce même quartier de Nabaa. C’est là, sur deux étages, que l’association officie aujourd’hui. Un va et vient continuel, qui n’est pas du goût de tous les voisins , las de voir défiler les mères de familles le matin, suivis de leurs enfants l’après-midi. Les premières viennent s’approvisionner en produits alimentaires de base, en couvertures, en chauffage d’appoint, ou tout simplement parler de ce qu’elles vivent, rencontrer les autres femmes, se détendre, oublier leurs problèmes, recevoir un soutien psychologique, un sourire, un mot d’espoir. Nadine, Marcia et Diana, les trois assistantes sociales, reçoivent même sans rendez-vous, portes ouvertes en permanence, et toujours à l’écoute.

[caption id="attachment_556" align="alignleft" width="1024"] Le club des mamans. Au centre le P. Leduc et à ses côtés, Mme Azzi, les deux fondateurs de Libami.[/caption]

A l’étage du dessous, les enfants arrivent à partir de trois heures de l’après-midi. Ils sont soixante-dix, qui une fois l’école finie, viennent faire leurs devoirs, aidés par des enseignants compétents. Répartis en huit classes, selon leur niveau, ils suivent chaque jour le même rituel. Un passage par l’office, où après un bisou d’accueil, la cuisinière leur donne leur repas du jour, puis direction la salle de cours, où ils commencent à étudier. Chaque élève est suivi avec attention. Zeina, la responsable des relations publiques montre les livrets scolaires, que Libami reçoit des écoles que les enfants fréquentent: “ nous connaissons les points faibles de chacun, et nous suivons leur scolarité scrupuleusement. Si un élève manque à plusieurs reprises son soutien scolaire sans raison valable, il est remplacé par un autre. Nos places sont limitées à soixante-dix élèves. La liste d’attente est longue. ” Au Liban les bonnes écoles sont toutes privées et le prix de la scolarité très élevé. Libami est une chance pour ces enfants défavorisés par la vie. “ Certains de nos anciens élèves ont pu faire des études supérieures. L’éducation reste notre priorité. La scolarisation des enfants est l’incontournable condition que nous imposons aux familles , qui sollicitent notre aide “, insiste Mme Azzi.

[caption id="attachment_555" align="aligncenter" width="1600"] Repas au soutien scolaire[/caption]

Libami compte six salariés permanents, auxquels s’ajoutent les employés vacataires comme les 10 éducateurs du soutien scolaire. La masse salariale s’élève à environ 15 000 euros par mois. Les rentrées d’argent proviennent des parrainages, de soutiens alloués par des organismes sociaux, et de différents dons. Depuis 2000, l’association a ouvert une petite fabrique artisanale de chocolats qu’elle vend à des particuliers . Tout est transparent, et les comptes totalement accessibles à celui qui les demande. Mais Libami n’est pas seulement une association caritative, c’est aussi et d’abord un espace de fraternité, et de chaleur humaine où personne ne s’occupe de savoir d’où viennent les personnes aidées, qui elles sont, et quelle est leur religion. Le P Leduc, 80 ans, qui a transmis son poste de président à Mme Azzi, mais continue à prêter la main à l’association, rappelle ce principe: “ La pauvreté n’a pas de religion. Et tout le monde est accueilli ici à bras ouvert...”   En témoigne Badrieh, 35 ans, et trois enfants à charge, qui raconte que grâce à Libami, son mari, sourd de naissance, a pu se faire appareiller et retrouver l’ouïe. “ Depuis qu’il entend, dit-elle, il s’exprime au lieu de me frapper comme avant. Je n’ai plus peur de rentrer à la maison.”

Autre tranche de vie, Racha, 45 ans. Son mari ne peut plus travailler dans son usine de teinture, atteint par un cancer de la peau, “heureusement que Libami m’aide a acheter les médicaments dont nous avons besoin, et qu’il assure la scolarité de mes enfants.”

[caption id="attachment_557" align="alignleft" width="667"] Soutien scolaire[/caption]

Aidée par Libami, Nayla, 15 ans, a repris les études, qu'elle avait abandonnées. Elle habite avec ses parents et ses quatre frères et soeurs plus jeunes, dans un réduit insalubre et humide, qui sert à la fois de chambre, de salon, de toilette et de cuisine. Son père, chauffeur, dort dans sa voiture par manque de place. En voyant sa grande fille étudier avec acharnement, Rabab, la mère confie qu’elle a“ repris espoir. Ici, j’ai trouvé des gens qui m’écoutent et me comprennent. Je participe à des réunions de femmes. On parle de nos problèmes. Cela me fait du bien. Libami est devenu pour moi une vraie famille.”

Luc Balbont

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(*1) Damour est un village chrétien libanais situé sur la côte, à 20 km au sud de Beyrouth, détruit en 1976, lors de la guerre civile, par les milices palestiniennes. La population a du être déplacée.

(*2) A l’époque l’euro n’existait pas. 2000 francs anciens, soit environ 350 euros.

(*3) A cette pauvreté croissante des familles libanaises, qui vivent dans un pays en crise, fragilisé par des voisins en guerre (Syrie, Irak, Palestine), s’ajoute le problème posé par les réfugiés syriens. Ils sont plus de 1,5 million sur une population totale de 4,5 millions d’habitants, soit 30%. Sans compter les Irakiens, les Palestiniens, et un grand nombre de travailleurs illégaux égyptiens, africains, et asiatiques. Une situation qui détruit le marché libanais de l’emploi.