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Liban : 4 millions d’habitants, 1,5 million de réfugiés syriens.
A l’université américaine de Beyrouth, une équipe de chercheurs de l’Institut Issem Farès planchent depuis peu sur l’impact des réfugiés syriens au Liban. Une étude remarquable, qui rend compte de la situation, à travers des statistiques et des pourcentages fiables, sans toutefois entrer totalement dans la dimension humaine du drame. A Batroun, au nord Liban près de Tripoli, non loin de la frontière syrienne, où j’habite, j’aime me balader tôt le matin, dans la ville, en empruntant les ruelles qui descendent vers le port. Rituellement, je m’arrête dans la petite cour de la chapelle Notre-Dame-de-la-Mer, pour rêver devant le mur phénicien, qui protège la cité depuis des millénaires. Puis, je remonte vers le théâtre romain, situé dans le jardin de mon ami Djamal, parti exercer ses talents de photographe dans un émirat du Golfe.
Ce ne sont pourtant pas ces vestiges de l’histoire qui retiennent mon attention, mais des hommes, assis ou accroupis, seuls ou en groupes, le long de la route. Dès le lever du jour, éparpillés en grappes aux points de passage les plus fréquentés, ils attendent qu’une voiture s’arrête, et que le chauffeur, sans descendre de voiture, leur fasse signe de s’approcher, pour leur proposer un travail : un CDD de quelques heures ou de quelques jours, conclu sur parole, pour nettoyer un jardin, déménager une maison, récolter des oranges, rebâtir un mur écroulé, décharger des poids lourds. Ces demandeurs d’emplois sont des réfugiés syriens, qui ont fui la guerre civile qui frappe leur pays depuis mars 2011. Ils sont payés à l’heure, la moitié moins de ce que touche un travailleur libanais pour la même tâche.
Leur histoire est la même. Cultivateurs, ouvriers, artisans, commerçants, ils ont dû quitter leur village pour sauver leur vie, coincés entre la violence du régime, les bombardements de l’aviation russe, et la barbarie des milices djihadistes. Sur un ton monocorde, ils racontent la mort de leurs proches : un parent, un conjoint, un enfant.
Au Liban, ils survivent sur des terrains loués, où ils élèvent des abris de fortune. D’autres s’entassent dans des granges, des remises, des garages, ou des taudis insalubres, humides et infestés de vermine. Ils se partagent entre plusieurs familles ces sinistres endroits aux loyers exorbitants. Les enfants, pour beaucoup privés d’écoles, sont souvent obligés de travailler pour subvenir aux besoins de leur clan, et des filles sont mariées dès l’adolescence pour ne plus être une charge pour leurs parents. A Tripoli ou à Beyrouth, des femmes Domes, la branche syrienne des Roms d’Europe, mendient, leurs bébés sur les genoux. Sur un peu plus de 4 millions d’habitants, on estime leur nombre à 1,5 millions d’individus. Imaginons la France, avec un tel taux de réfugiés.
Dans les espaces publics, si les propos des Libanais sont violemment hostiles à l’encontre de ces clandestins, il y a peu de dérapage. Juste quelques incidents ici et là, des faits divers tout au plus, mais pas de parti extrémiste, ouvertement raciste. Contrairement à l’Europe, l’émigration n’est pas le point central des débats politiques dans les médias. Des associations, notamment chrétiennes, scolarisent les enfants syriens, musulmans sunnite pour l’immense majorité, et une kyrielle de petites structures se sont mises en place pour venir en aide aux plus pauvres. Dans les paroisses comme dans les mosquées, des fidèles se mobilisent pour accueillir ces exclus, qui portent en eux des traumatismes si profonds, qu’ils ont perdu leurs repères. Les plus aisés sont déjà installés en Occident, mais pour eux, sans éducation, sans argent, le rêve de rebâtir leur vie ailleurs est une illusion. En Syrie, où dit-on, la guerre semble toucher à sa fin, une question se pose : comment et avec qui reconstruire le pays quand la paix sera revenue ?