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Melhem Khalaf, l’avocat des sans grade

Le dimanche 17 novembre 2019, au 31e jour de la révolution, Melhem Khalaf, candidat indépendant sans parti, ni soutien  politique, est élu, à la surprise générale, à la tête de l’ordre des avocats libanais. 

Stupéfaction ! Jusqu’alors connu  pour  ses actions sociales et comme le fondateur de l’Association  Offre-Joie, on n’en avait oublié que le nouveau bâtonnier était aussi avocat. Sans doute aussi que les causes qu’il défendait n‘étaient ni prestigieuses, ni médiatiques. « Ses clients » ne faisant pas partie des puissants de ce monde, et ses affaires n’ouvrant jamais les journaux télévisés. Maitre Khalaf restait avant tout l’avocat des sans grade, de ceux qu’on croise tous les jours, sans retenir les traits de leur visage.

Toute  sa vie, ce Beyrouthin, né en 1962 au cœur de la capitale libanaise, aura mis son métier d’avocat au service des démunis, mêlant ses compétences juridiques à des actions humanitaires. Pour moi, Melhem Khalaf que j’ai rencontré pour la première fois en 1997, est l’équivalent d’un Robert Schuman, cofondateur de l’Europe  (1886-1963), ou de Mgr Grégoire Haddad, fondateur du Mouvement Social Libanais (1924-2016). Nourri comme eux de foi et de raison, il est l’acteur incontournable de la citoyenneté universelle.

Parmi toutes ses initiatives visant à faire du Liban une société plurielle, débarrassé de ce clanisme social et confessionnel qui le ronge depuis toujours, Offre-Joie, qu’il fonde en 1985, à l’âge de 23 ans, tient une place prépondérante. Cette association fut l'une des premières ONG au Liban,  créée en pleine guerre civile, à œuvrer au rapprochement de jeunes chrétiens et musulmans.

Depuis plus de trente ans  Offre-Joie est présente sur tous les points chauds du Liban, organisant des rencontres et des chantiers interreligieux, où jeunes chrétiens et musulmans apprennent à construire ensemble. En mars 2007, je me souviens que l’association avait organisé une chaîne humaine de 1200 personnes, afin de relier les principales places de Beyrouth, occupées par des camps politiquement opposés, prêts à s’entre-tuer. « Notre objectif est de construire un Liban uni et citoyen, sans rejeter la foi profondément inscrite dans nos gènes, » m’avait expliqué Melhem, que j’avais rencontré à Kfifan, un village du Liban-Nord, dans une vieille bâtisse municipale, qu’il avait transformée en lieu de convivialité, puis à partir de 2012 en école pour les enfants syriens (*) « Les Occidentaux, avait-il ajouté, qui ont du mal à comprendre notre besoin de croire, confondent la religion et la confession. Il faut libérer la religion du confessionnalisme.. Si la foi est signe d’amour et de tolérance, le confessionnalisme est un enfermement, et  une source de guerre »

Avec sa forte personnalité et son charisme, Maitre Khalaf aurait pu opter pour une carrière royale, il a préféré fréquenter les petits plutôt que les salons mondains, servir les humbles et son pays plutôt que les puissants.

Au lendemain de son élection au poste de bâtonnier, la presse libanaise a salué sa victoire comme celle de la révolution civile, qui secoue le pays depuis  le 17 octobre dernier. Dans une déclaration récente, le patriarche maronite Becharra Raï a souligné que la « contestation actuelle de la rue allait donner  naissance à un nouveau Liban. » L’élection de Melhem Khalaf en est un signe.  

Luc Balbont

(*) Lire chronique de ce blog « Vie des chrétiens en Orient » du 15 septembre 2014.