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Nayla Tabbara, une féministe exégète du Coran

Née au Liban dans une famille sunnite, Nayla Tabbara, professeur d’études islamiques et de sciences des religions n’est pas devenue musulmane pratiquante par mimétisme. Elle a elle-même choisi sa voie après “une période de rejet et un long temps de réflexion.” Un islam d’abord rigoriste comme beaucoup de convertis, avant que l’horizon ne s’éclaircisse. Nayla grandit, mûrit. Elle étudie, lit et approfondit  chaque verset du Coran, les recontextant dans la période historique de leur révélation. Un cheminement intellectuel qui en fait aujourd’hui une musulmane critique et une redoutable exégète du Livre saint de l’islam.

Dans un texte paru en 2008 sur la rencontre islamo-chrétienne (*1), Nayla Tabbara dresse un état des lieux sans concession de sa famille religieuse : “ Les acteurs musulmans du dialogue islamo-chrétien, écrit-elle, arrivent à ces rencontres, dans la plupart des cas, armés de versets coraniques et de hadiths prophétiques, sans pour autant rapporter une réflexion profonde, globale et moderne sur le dialogue”. Nayla Tabbara poursuit en constatant que sa religion “ vit une crise d’identité et de sens”, stigmatisant ces institutions qui “ réduisent l’islam à une religion de l’apparence : tenue vestimentaire, forme du voile pour la femme, longueur de la barbe pour les hommes”, et dénonçant ces imams “ qui sombrent dans le nombrilisme, sans égard pour les autres religions.” Elle affirme aussi, citant à l’appui des réformateurs musulmans contemporains, que le califat est une création humaine de pur intérêt et non une volonté divine, « puisqu’à ses origines l’islam se fonde sur une communauté et non sur un Etat.

Nayla Tabbara et Luc Balbont

Pour la construction “d’une théologie musulmane du dialogue”, Nayla Tabbara insiste sur la rencontre. Sans ce rapport physique entre les personnes, le dialogue reste pour elle un concept intellectuel désincarné. “ La rencontre, soutient-elle, repose sur deux conditions : l’entrée des musulmans de plein pied dans la modernité et la reconnaissance totale de l’islam par les chrétiens. “ Trop d’incompréhensions font encore obstacle. “ Durant les premières rencontres interreligieuses dans les années 1950, beaucoup de responsables musulmans se sont méfiés du dialogue prôné par les chrétiens d’Occident confie l’universitaire. Aujourd’hui, certains s’en méfient toujours, pensant que le but est de les faire accepter la présence d’Israël, ou qu’il vise à leur conversion au christianisme.”

Le discours de Nayla Tabbara souligne l’importance de la relation à l’autre dans l’islam, en insistant sur le message qui valorise la diversité. Pour corroborer son raisonnement, Nayla rapporte, avec une justesse ahurissante, les sourates du Coran qui parlent positivement du christianisme et du judaïsme (*2), et s’arrête sur les versets finals de la Révélation coranique, qui définit la convivialité comme un devoir religieux. Ses interprétations  d’un islam en mouvement dérangent les musulmans intégristes, les chrétiens conservateurs et les apologistes du choc des civilisations.

[caption id="attachment_705" align="alignleft" width="480"]Le livre de Nayla Tabbara co-écrit avec Fadi Daou, "l'hospitalité divine" Le livre de Nayla Tabbara co-écrit avec Fadi Daou, "l'hospitalité divine"[/caption]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce sens critique, cette ouverture sur la diversité remontent à son enfance. Nayla Tabbara est née en 1972 à Ras-Beyrouth, un quartier métissé de la capitale libanaise.  Elle raconte que “ son grand-père qui avait huit filles a quitté Basta, un quartier musulman traditionnel, pour que certaines de ses tantes puissent aller à l’université, sans être en butte aux pressions et aux critiques du voisinage.” Nayla grandit donc à Ras-Beyrouth, “dans un milieu ouvert, précise-t-elle.  À l’école, filles et garçons étudiaient ensemble. Je fréquentais des chrétiens, catholiques, orthodoxes, protestants, des druzes, des chiites, mais aussi des agnostiques et des athées.” Ce métissage a façonné sa personnalité.

En 2001, grâce au P. Jésuite, Louis Boisset de l’Université Saint Joseph, où elle est inscrite en histoire, Nayla Tabbara obtient une bourse pour aller étudier au Vatican. “là-bas, dit-elle, je participais à la vie de l’Eglise. Je suivais les réunions  de la paroisse du campus. J’assistais aux messes, et je participais aux prières, en veillant à ne pas dépasser les limites imposées par ma religion.

Devenue professeur en études islamiques et en sciences des religions, elle rencontre en 2005 le P. Maronite Fadi Daou, avec lequel elle fonde “Adyan” (les religions - *3). Aujourd’hui, elle est directrice de l’Institut Académique de cette Fondation qui travaille sur un concept de citoyenneté incluant les diversités religieuses.

Invitée à donner son expertise sur les cinq continents, Nayla Tabbara, musulmane et féministe, défend un islam réformateur, ouvert, moderne, prêt à construire une citoyenneté commune avec non seulement les chrétiens, mais aussi les autres religions et les non croyants. Pour elle, le dialogue ne sera jamais une mission de conversion, mais d’abord un espace d’échanges qui engendre la confiance réciproque.

Luc Balbont

 

(*1) A lire dans « Proche-Orient chrétien », 2008. Réponse au texte du P. Fadi Daou « Chrétiens et musulmans arabes, quelle rencontre ? », N 55 –  2005 publié  dans la même revue.

(*2) lire “L’hospitalité divine, l’autre dans le dialogue des théologies chrétienne et musulmane”, Nayla Tabbara et Fadi Daou –  Commande en ligne en se connectant sur http://www.lit-verlag.de/isbn/3-643-90454-6 -

(*3) (*1) voir chroniques de ce blog du 25 février 2015 et du 31 mai 2016.