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Paroles de réfugiés irakiens
Dans l’Orient arabe, parler avec des chrétiens de convivialité et de vivre ensemble, vous expose à passer de l’espoir le plus vif au pessimisme le plus noir. Tout dépend de votre interlocuteur, de son statut et de son histoire. Je le constate régulièrement, depuis que j’ai entrepris ce travail sur le dialogue islamo-chrétien, en menant à partir du Liban une enquête de longue haleine, que je reproduis, en partie, dans ce blog.
Si mes derniers posts (Samir Geagea, ou Mgr Khairallah), portaient l’espérance, la chronique présente reflète bien des inquiétudes et des interrogations. Comment ne pas le comprendre, quand ceux qui ont accepté de se confier, sont des hommes et des femmes chassée de leurs terres et de leurs maisons par la barbarie islamiste. Des familles chrétiennes d’Irak, réfugiées au Liban, en attendant de pouvoir gagner un pays occidental, pour tenter d’oublier le drame qui les a frappé et essayer de se reconstruire une vie. Ces déracinés, on les croise chaque dimanche au couvent de Charfet.
Charfet se dresse à la sortie nord de Beyrouth, sur les hauteurs de Jounieh, où se concentre un grand nombre d’institutions et de sanctuaires chrétiens (*1). L’histoire de ce lieu commence à la fin du XVIII é siecle, période où le patriarche syriaque catholique Mikhail III Jarweh fuit Alep en Syrie, à cause des persécutions des chrétiens monophysites (non romains) et des autorités ottomanes. Il se réfugie d’abord en Irak, puis au Liban, où il est accueilli par le patriarche maronite, qui lui offre un terrain dans le village de Daaroun. Sa Béatitude Mikhail III y construit une chapelle et une petite maison. Au fil des ans le domaine s’agrandit. Une Église, un couvent, un séminaire, s’ajoutent à l’ensemble. Aujourd’hui, Charfet qui porte bien son nom (balcon en arabe) est devenue la résidence d’été des Patriarches syriaque-catholiques. Chaque dimanche à 10h30, un office est célébré pour ces exilés irakiens.
Voici quelques témoignages à vif, recueillis à la sortie de l’église.
Abdelkarim Moussa Mansour.
47 ans, aide médical, marié, 7 enfants. Il vient de Qarraqosh (nord de l’Irak).
“ Dans la nuit, du 6 au 7 août 2014. pour fuir le Daëch, je suis parti de chez moi, avec juste les habits que je portais. Notre famille a d’abord rejoint Erbil (Kurdistan irakien) puis le Liban. Je ne sais pas ce qu’est devenue notre maison. Je n’ai aucune information. Je ne veux plus revenir à Qarraqosh. Même si le Daëch est vaincu, une autre guerre se profile chez nous, entre les Kurdes et les Arabes. Les chrétiens en seront une fois de plus les premières victimes. J’ai demandé un visa pour la France. J’attends”
Mouayad Matti Yoako
52 ans, commerçant, marié, 4 enfants
“ Pour vivre ensemble, il faut un régime fort comme l’était celui de Saddam Hussein, qui assurait. au moins, le droit de toutes les minorités. Avec les musulmans, il n’y aura jamais de dialogue possible tant qu’ils ne respecteront pas les autres religions. Ces musulmans avec lesquels j’ai vécu en frère durant des années, nous ont trompé. J’ai vu de mes yeux leur comportement changer. Deux ans après la chute de Saddam (2005), ils nous considéraient avec mépris. Je n’ai plus confiance en eux, ni en l’Etat irakien. Ils nous ont trahi l’un et l’autre. Les chrétiens en Irak, contrairement aux autres communautés, chiite, kurde, sunnite, n’ont pas d’armes pour se défendre. Nous sommes toujours les éternels sacrifiés.”
Saad Najim
45 ans, géologue
“ Tous les musulmans ne sont pas du Daëch. La création du Daëch est un complot international contre le monde arabe. Je viens de Barthala (à côté de Qarraqosh, dans la plaine de Ninive), ma région, demain. sera aux mains des chiites ou des peshmergas kurdes. Je ne veux plus y vivre.”
Mirna Saher Boutros.
27 ans, elle vient de Mossoul qu’elle a fuit en juin 2014 pour échapper au Daëch. Célibataire, elle travaillait avec le P. Najib Michaël, à la numérisation de manuscrits chrétiens anciens. Elle s’apprête bientôt a émigrer vers l’Irlande avec sa mère.
“ Je pars en Irlande le cœur gros. Je ne voulais pas quitter mon pays où j’ai tous mes amis, et ceux que j’aime. Je parle mal l’anglais, je vais souffrir en exil, mais là-bas je vivrai en paix. Un cousin va nous accueillir. Les dirigeants irakiens n’ont rien fait pour nous protéger des islamistes, mais si demain, l’Irak se redressait et notre sécurité assurée, je reviendrai m’installer à Mossoul. “
Safwan Daoud Behnam
La quarantaine, il vient lui aussi de Mossoul, entrepreneur en maçonnerie
“Pourquoi revenir à Mossoul ? Selon les informations que je reçois de là-bas, la moitié des musulmans travaillent aujourd’hui pour Daëch”
Saad Elias Issa
52 ans. Ancien sous-officier de l’armée irakienne, il a été licencié par les Américains dès leur arrivée en Irak, en 2003. En août 2014, sa femme et deux de ses enfants ont été tués, lorsque Daëch a bombardé Qarraqosch, avant d’y entrer. Il est venu à Charfet ce dimanche avec sa fille de 15 ans.
“Je n’ai plus confiance dans les musulmans. Tant qu’on avait un gouvernement fort, ils se tenaient tranquilles. Mais avec la chute du régime, ils ont montré leur vrai visage. En France, ils se comporteront de la même façon avec vous, si vous faiblissez. J’ai demandé un visa pour la Grèce.”
Recueillis par Luc Balbont
(*1) Entre autres, le patriarcat maronite de Bkerké et Harissa, haut-lieu de pélerinage du christianisme libanais.