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“ PREPARER DES MAINTENANT NOS JEUNES A LA CITOYENNETE”

Avec le Général Aoun

En préambule.

 “ Nous fréquentions d’un même coeur l’église et la mosquée “

Lettre du Général Michel Aoun au président François Mitterrand

Après avoir été reçu, le mois précédent par Samir Geagea (*1), figure des années de la guerre civile libanaise (1975-1990), je tenais a retrouver le général Aoun (*2), juste pour me pousser un jour prochain, à mettre en œuvre un projet qui me tient à cœur : travailler sur l’histoire récente du Liban, en rassemblant les témoignages des personnages  incontournables qui l’ont écrite.

Ce 21 septembre 2015, sachant que notre entretien porterait sur la difficile construction de la citoyenneté de son pays au sortir de la guerre et des occupations, Michel Aoun me lit, en préambule, cette lettre qu’il avait adressée le 29 octobre 1989, à François Mitterrand, président de la République française. Le général, alors Premier ministre du Liban et en pleine guerre civile, y contestait la mise en place des accords de Taëf qui consacrait la domination de la Syrie de Hafez al-Assad et la disparition du Liban pluriel.

 Monsieur le Président

Je suis né et j’ai grandi dans un village de la banlieue sud de Beyrouth. Nombre de mes camarades d’école étaient musulmans; j’étais chrétien. Les grandes occasions, mariages ou enterrements, nous réunissaient. Nous fréquentions d’un même cœur l’église et la mosquée. C’est cet héritage multiconfessionnel que l’on veut faire disparaître. C’est pour cette idée, pour sa souveraineté que je me bats. Une défaite ici, ne sera pas sans conséquences chez vous demain …Une des grandes affaires de notre siècle finissant sera à n’en pas douter la confrontation entre l’islamisme et l’Occident. Il y aura un dialogue ou pas. Accepter la disparition du Liban, c’est se priver d’une terre où ce dialogue a toujours été plus qu’une réalité quotidienne, une culture constitutive, une façon de se présenter devant le reste du monde…

Des mots qui soulignent l’obsession du général: l’indépendance d’un Liban citoyen.

 

“ PRÉPARER DES MAINTENANT NOS JEUNES A LA CITOYENNETÉ”

Six ans ont passé depuis notre dernier entretien, ici dans cette même maison de Rabieh, nichée sur les hauteurs nord de Beyrouth. Un pavillon modeste comparé aux villas luxueuses du quartier. A 82 ans, Michel Aoun, ex-commandant de l’armée libanaise durant la guerre civile, ex-Premier ministre en 1989, aujourd’hui candidat à la présidence du pays, reste un amoureux fou du Liban.

Ses adversaires le trouvent trop vieux pour le fauteuil présidentiel. Ils le qualifient aussi de cassant, d’autoritaire, d’entêté et de maladroit. Ils lui reprochent d'avoir placé ses gendres à des postes clés (*3), et de confessionnaliser son discours en se posant, pour des raisons électorales (*4), comme le défenseur de la communauté chrétienne. Lui s’en défend. Et rappelle que dans les années de guerre, chaque fois qu’un journaliste occidental le qualifiait de général chrétien, il rectifiait: “Général libanais ! 

Aujourd’hui, le fondateur du “Courant Patriotique Libre” (CPL), Parti qu’il a fondé à son retour au Liban en 2005, persiste Si je suis chrétien, croyant, pratiquant, je reste un citoyen libanais laïc. Le CPL n’est pas un parti chrétien et l’armée que je commandais jusqu’en 1990 se composait de chrétiens et de musulmans.” (*5)

Michel AounAmbitieux ? Il l’est, assurément. Sa volonté de devenir président du pays le démontre … Mais “pour le bien du Liban” rétorquent ses partisans. Depuis ses premières apparitions publiques, l’ardent défenseur de la citoyenneté plurielle garde le cap. Et contrairement à beaucoup de politiciens, pour qui le dialogue reste une stratégie, le général l’applique. Même au risque de se mettre à dos toute une partie de son électorat chrétien maronite, comme en février 2006, lorsqu’il noua un accord avec le Hezbollah, le Parti religieux musulman chiite soutenu pas l’Iran, qu’il avait combattu. Et qu’il reprit aussi contact, peu après, avec le gouvernement syrien. Beaucoup ne comprirent pas alors comment “leur général”  pouvait se “compromettre avec ces fous de Dieu qu'il avait affronté, ou avec ce régime qui voulait sa peau » ? Sa réponse fut celle d’un de Gaulle se rendant en Allemagne au lendemain de la seconde guerre mondiale

“On ne peut pas éternellement vivre dans le rejet et le refus. La guerre est finie. La communauté chiite représente 1/3 de la population libanaise. Peut-on bâtir une nation en se passant de 30% de ses citoyens ? Et puis les chiites ne militent pas tous au Hezbollah. Je ne partage pas toutes les convictions du Hezbollah, mais je reconnais le courage de ce parti qui a lutté pour libérer le pays de l’occupation israélienne. Les militants du Hezbollah sont des citoyens libanais, qui n’ont rien à voir avec l’extrémisme musulman. Notre pays est religieusement multiple et nos traditions sont faites de tolérance et d’ouverture.” Aujourd’hui, nombreux sont les chrétiens qui reconnaissent que cette “alliance contre nature” a sans doute évité une nouvelle guerre civile au Liban.

Sur le rapprochement effectué avec la Syrie, Michel Aoun s’explique clairement.

“ Ce n’est pas avec l’Amérique ou la France mais avec les pays proches, que nous construirons le Liban. Pour prospérer, notre pays a besoin de sécurité, d’une situation régionale apaisée, et de relations de confiance avec les pays frontaliers.”

Michel-Aoun-et-L-BalbontL’islam et le christianisme sont-ils réconciliables, et les religions ne constituent-ils pas un obstacle à l’édification d’une authentique citoyenneté libanaise ? “ Si le Liban a des difficultés, répond Michel Aoun, c’est d’abord à cause de l’injustice sociale et de la corruption qui y règnent, de l’incurie, de l’incompétence et de la malhonnêteté des dirigeants.”

Ce 21 septembre 2015, lors du nouvel entretien qu’il m’accorde, Michel Aoun défend, une fois encore, l’indépendance et la citoyenneté libanaise.

“Nous avons 370 km de frontières communes avec la Syrie, et les djihadistes sont à nos portes, attaque-t-il. Face à cet islamisme fanatique, ce ne sont pas seulement les chrétiens qui sont en danger, mais tous ceux qui restent attachés à la liberté de conscience et au droit à la différence. Dans cette région à feu et à sang, le Liban doit consolider son unité nationale.”

Et de donner quelques pistes: “Il faut dès maintenant préparer les jeunes à la citoyenneté, briser les murs de la ségrégation. Insister sur la primauté de l’individu, afin de libérer les gens du poids de leur communauté. Il faut travailler, et c’est peut-être le plus important, à l’unité du système éducatif. Ça prendra du temps, admet Michel Aoun… une génération, peut-être plus, mais c’est capital !”

Luc Balbont


 

(*1) Entretien du 18 août 2015, publié le 16 septembre 2015, sur le site de l’Œuvre d’Orient – blog.balbont.oeuvre-orient.fr/

(*2) Notre dernier entretien remontait au 12 octobre 2009; Interview publiée dans le quotidien algérien francophone “Liberté” et sur le “Blog des reporters Pèlerin-Magazine” - Site : reporters.blog.pelerin.info/

(*3) Dont Gibran Bacile, actuel ministre libanais des Affaires étrangères

(*4) Au Liban, le président est obligatoirement chrétien maronite;

(*5) Dans ce nouvel entretien, le général affirme que la moitié de son armé était composée de musulmans (50%). A la fin de la guerre en 1990, les experts avançaient le chiffre de 30%.