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Rencontre avec Yves Prévost, le veilleur de la Qadicha : « C’est là que je veux finir ma vie »

C’est seulement en 1984, qu’Yves Prevost découvre la Qadicha, la Vallée sainte, située au nord du Liban. Il est alors âgé de 40 ans. Natif d’un village proche de Rouen, en Normandie, il s’occupe depuis 1977 d’un centre de handicapés près de Beyrouth. Il aime le Liban, mais la Qadicha sera pour lui une révélation foudroyante. C’est là « qu’il veut vivre et finir sa vie. »

Mgr Sfeir, patriarche maronite à l’époque le reçoit chaleureusement et encourage fortement son projet. Finalement, après maintes péripéties les moines mariamites (*1) lui permettent d’habiter l’ancien monastère de Mar Licha en 2012.(*2)

Longue de 16 kilomètres, encaissée entre deux versants abrupts, baignée par le fleuve du même nom, c’est là que, dès le IV è siècle de notre ère, des chrétiens désirant se rapprocher de Dieu, et passer leur vie à méditer et à prier, élisent domicile. Logeant dans les nombreuses grottes creusées naturellement dans les flancs de la montagne.

Des ermites, au fil de siècles, la Vallée en comptera jusqu’à 800 dans ces grottes, autour desquelles, furent bâti plus tard des monastères plus ou moins importants. Sur les 120 sites, il n’en reste aujourd’hui que trois habités par des communautés de moines. Des autres, ils ne subsistent que des cryptes délabrées, des pans de murs, des tombes, des refuges décorés de peintures, graffitées pour certaines, « juste des morceaux mais qui racontent l’histoire de la Vallée, (*3) » Une histoire que Yves Prévost retrace sur le bout de doigts. La Vallée, il en connait les moindres secrets, il l’a arpenté des journées entières, pataugé dans les rivières, dormi dans les forêts . Il peut expliquer les origines d’une chapelle en ruines, d’une peinture à moitié effacé, d’un ermitage anonyme, d’une tombe inconnue, reconstituant des évènements heureux ou tragiques de n’importe quel lieu.

Des ermites il ne reste aujourd’hui que le P. Dario, 88 ans, un père colombien, ami de Yves Prévost : « Il habite avec Dieu, en tête à tête, le priant 12 heures par jour. Il semble si heureux de l’existence qu’il mène, » confie Yves Prévost.

Yves Prévost vit seul, dans une cellule du monastère de Mar Lichaa, un ancien ermitage transformé en chambre, avec le strict minimum. Sans être ermite pour autant. « Je ne pourrai pas vivre comme le P. Dario. Moi je vois des gens, je les emmène visiter la Vallée. Je reste en contact avec la société, mais j’aime la solitude, penser à des choses essentielles et ne pas m’enfermer dans les futilités quotidiennes Dans la Vallée, l’environnement est propice, à la réflexion, au silence et à la prière. »

Autre combat qu’il mène : la préservation de la Vallée.  Dans les cartons des promoteurs, des transformations sont à l’étude. Elargir la route à 7 mètres de large pour laisser passer les cars, projet heureusement bloqué, « de ce côté-là, je suis rassuré, » se réjouit notre homme », mais la Qadicha continue d’attiser les appétits des marchands du temple : aménager des parkings, créer des restaurants, ouvrir des routes d’accès plus faciles, relier les ermitages et les monastères par des ponts hideux et hâtivement construits.

Pour Yves Prévost la préservation de la Qadicha est capitale, on y retrouve les valeurs de la spiritualité maronite des premiers temps. « Pauvreté, humilité, sens de l’effort, résume-t-il. La Vallée ne doit pas devenir un parc d’attraction. » En 1998, son classement au patrimoine mondial de l’Unesco (5ème   site libanais à obtenir le Label (*4), la préserve plus efficacement, mais il n’empêche pas les dégradations, ni les actes de vandalisme et de pillages. « Si pour les non croyants, la Qadicha est à admirer, les croyants doivent absolument continuer à y prier » conclut-t-il.

Luc Balbont

(*1) Ordre religieux catholique oriental appartenant à l’Eglise maronite

(*2) Mar Licha ou Saint Elisée, Yves Prévost a écrit un remarquable essai sur Saint Elisée, non encore publié

(*3) Lire « si la Qadicha m’était contée » écrit par Yves Prévost aux éditions des Scouts du Liban, où il fait découvrir et explique à trois enfants l’histoire de la Vallée sainte

(*4) Avec Tyr, Baalbeck, Byblos et Anjar

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