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Les Libanaises dans la révolution.

Pour une société civile : les femmes en première ligne

Paralysie des institutions, grèves à répétition, cascades de licenciements abusifs, plus de 150 000 emplois perdus en deux mois ; pour ceux qui ont la chance de conserver un emploi, salaires différés ou réduits de moitié, crise de la monnaie nationale, entreprises au bord de la fermeture… Si depuis le 17 octobre 2019, début de sa révolution, le Liban s’enlise dans une crise économique, qui risque de s’éterniser, la rue, elle, ne désarme pas. Dans toutes les villes, du nord au sud, les manifestations se multiplient et les protestataires continuent d’exiger le départ des corrompus, et l’avènement d’une société civile.

C’est en 2015 que le premier mouvement civil véritablement populaire est déclenché. Baptisé « Vous puez », il stigmatisait la crise des ordures ménagères qui, non collectées durant des mois, avait transformé le pays en un énorme cloaque. En cause : une sombre histoire de dessous de table entre des sociétés de ramassage des déchets et des partis politiques. A l’époque, des garçons et des filles, totalement inconnus, s’étaient regroupés sous cette appellation triviale « Vous puez », pour dénoncer la corruption des élus et leurs pratiques clientélistes. 

D‘autres mouvements issus de la société civile vont alors se succéder. En 2016, Beyrouth madinati  (Beyrouth ma ville) prend le relais. Pour la première fois au Liban, le groupe présente des « candidats citoyens » aux élections. Une fois encore, le retentissement médiatique est énorme, mais aucun postulant n’est élu. En 2018, aux élections législatives, plusieurs formations civiles font leur apparition sur la scène politique libanaise. C’est le cas de « Citoyens et citoyennes dans un Etat », « Li Baladi » (pour le pays) ou « Sabaa » (sept). 

Les résultats, hélas, ne se traduisent pas par des succès dans les urnes et les mouvements citoyens implosent quelques mois après leur naissance, minés par des rivalités internes, ou discrédités par les partis traditionnels, qui les diabolisent à l’excès. C’est pourtant grâce à ces groupes, que les Libanaises sont, aujourd’hui, de plus en plus présentes dans l’espace publique et dans les institutions politiques. 

Avant sa démission, fin octobre 2019, le gouvernement comptait ainsi quatre femmes ministres, contre une seule dans le cabinet précédent.  Qui aurait pu penser, il y a quelque temps encore, qu’un pays arabe confierait un portefeuille ministériel régalien comme celui de l’Intérieur à une femme, Raya el Hassan ou celui de l’énergie à Nada Boustany (*1). Depuis le début de la révolte, des Libanaises de toutes confessions manifestent côte à côte dans les rues. 

Journaliste au quotidien  L’Orient-Le jour, Suzanne Baaklini, constate pourtant que les mentalités patriarcales ont la peau dure.« Sait-on en Occident, que, chez nous, le statut personnel des chrétiennes, n’est pas le même que celui des musulmanes chiites ou sunnites ? En matière d’héritage par exemple, si les chrétiennes héritent d’une part égale à celle de l’homme, la musulmane chiite ne reçoit que la moitié de l’héritage, quand à la sunnite elle n’a droit à rien. » 

Au Libandéplore Mme Baaklini, « il faut  appartenir à une communauté  pour exister. Des collectifs comme « Kafa » (Assez) ou « Ab’ad » (dimensions) se battent pourtant contre ces inégalités, telles que les violences faites aux femmes, l’adoption du mariage civil, le rejet des mariages précoces. Leur travail a notamment permis récemment  le vote d’un amendement pour faire condamner les violeurs, qui auparavant étaient acquittés s’ils épousaient leurs victimes.  

Et la journaliste de conclure « Quelle que soit leur religion,  les Libanaises s’épanouiront bien mieux dans une société civile que dans une société confessionnelle. »

 Luc Balbont 

(*1) En attendant la formation du nouveau cabinet, le gouvernement comptait également deux autres femmes dans ses rangs: May Chidiac au développement administratif, et Violette Safadi à la condition féminine. 

Les propos de Mme Baaklini ont été publiés dans le bulletin N° 787 (novembre-décembre 2019) de l’œuvre d’Orient