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Salma Kojok, des mots pour détruire les murs
Salma Kojok vient de publier son premier roman (*), un livre où elle raconte l’histoire de Jamil, un jeune Libanais qui quitte son village du sud-Liban pour l’Afrique, afin d’assurer, comme beaucoup, l’avenir des siens, restés au pays.
Le récit d’un périple humain qu’on ne lâche plus aussitôt commencé, avec une fois le livre refermé, l’envie, comme Jamil, de profiter de chaque instant de l’existence pour partir, respirer et écouter les bruits du monde, découvrir d’autres pays, croiser des visages différents, et ressentir les liens qui unissent les hommes entre eux d’un continent à l’autre.
L’histoire de Jamil ressemble à celle de la famille de Salma, des chiites du Sud-Liban, partis de leur village de Zrariyé qui surplombe la Mer Méditerranée pour s’installer à Abidjan (Côte d’Ivoire), au bord de l’Océan l’Atlantique.
C’est ici que Salma est née en 1971. Une enfance africaine vécue dans un milieu libanais, où l’on s’exprime aussi bien en arabe qu’en français. De là, vient sans doute son goût du métissage, et son refus de se laisser enfermer dans une culture identitaire étroite et pesante. Après l’obtention de son doctorat d’histoire à Nantes, en France, elle choisit de revenir au Liban, où elle enseigne au lycée international de Beyrouth.
Elle a 23 ans lorsqu’elle découvre enfin Zrariyé, le village familial : « En Côte d’Ivoire, j’entendais parler souvent de Zrariyé, le village d’origine de mes parents. Mon père qui y a passé son enfance, nous en parlait souvent ainsi que mes grands-parents. Ils nous racontaient leur vie dans ce village, ils nous transmettaient leur attachement affectif à ce village si bien que c’était, pour nous les enfants (ma sœur, mes frères et moi) un lieu magique de l’enfance, un lieu familier malgré la distance. Les nuits, dans la chaleur de notre maison de Treichville à Abidjan, je réussissais à rêver de ce village, à lui donner une réalité, une vitalité sans y être jamais allée. C’est incroyable cette histoire, de rêver de cette manière d’un lieu jamais vu. »
Un souvenir inoubliable qu’elle décrit encore aujourd’hui comme « un éblouissement : la douceur de la roche blanche qui courent sous les collines vertes, les oliviers, le sens de la vie malgré la guerre toute proche, la délicatesse des vieux, l’hospitalité des villageois… tout avait pour moi la splendeur du lieu magique. »
Aujourd’hui, Salma vit à Beyrouth, mais pour elle, c’est toujours un bonheur de passer quelques semaines à Zrariyé, en été, pour se ressourcer. « Ce village, dit-elle, reste le reflet du métissage du monde. On y croise des enfants métis, libano - africain, nés de cette histoire de l’émigration libanaise vers l’Afrique, que les hommes racontent en la sublimant, alors que les femmes parlent plus volontiers des douleurs de l’exil. On y rencontre aussi des émigrés syriens et palestiniens qui ont fui les violences de la guerre, et même une famille de chrétiens Arméniens. Zrariyé a beau être majoritairement chiite, le Père Noël passe dans toutes les maisons, chaque 25 décembre. C’est la tradition. »
Proche du P. Grégoire Haddad, l’ancien évêque melkite de Beyrouth, fondateur du Mouvement social libanais, Salma revendique son appartenance à la fraternité humaine. A l’aise au milieu de ses frères, sœurs et cousins chiites, de ses amis écrivains français, qu’elle a récemment retrouvés à Paris au salon du Livre, où elle était venue présenter son roman (photo). Elle aime passer ses week-ends dans la région druze du Liban. Marcher dans les rues de son quartier de Ras-Beyrouth, où la mosquée et l’Église se côtoient, elle se sent proche de la domestique philippine ou Erythréenne, ses voisines.
Elle affectionne les lieux, où les gens s’épaulent pour mieux partager leur quotidien, et rejette tous les communautarismes « porteurs de guerre, de rejet de l’autre, et souvent de violences, dit-elle. Je me retrouve plus facilement dans la citoyenneté universelle, le sentiment de fraternité au-delà des frontières que les sociétés humaines ont construites. J’écris, pour casser les patries sectaires et ouvrir les horizons. »
Au lycée international à Beyrouth, où elle enseigne l’histoire, elle multiplie les échanges entre les élèves chrétiens et musulmans : « Le débat est essentiel. Il faut absolument permettre la parole pour déconstruire les préjugés.» … Pour détruire les murs, Salma Kojok a choisi les mots.
(*) La maison d’Afrique », AlfAbarre, 176 pages, 12 €
Luc Balbont