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Youakim Moubarak, son œuvre par le recteur de l'université Saint Joseph
C’était il y a un peu plus de deux ans. A l’université Saint-Joseph de Beyrouth, j’étais venu interviewer le père Salim Daccache, recteur de l’établissement, sur l’œuvre du grand théologien maronite Youakim Moubarak (1924-1995). J’avais découvert ce penseur, né au Liban et décédé en France, en lisant la préface que le recteur lui avait consacré dans un livre de Fadi Hindi (*1). Cinq pages, où le père Daccache reprenait, entre autres, des propos de Moubarak sur le conflit du Proche-Orient, qui incitaient « Libanais, Palestiniens et Israéliens de progrès d’engager la « Renaissance », afin d’aboutir à la paix pour que le Liban devienne « l’exemple en miniature d’un équilibre à plus grande échelle.»
Ce court texte m’avait donné envie d’approfondir l’œuvre du théologien et, à dessein, de rencontrer Salim Daccache, fin connaisseur et ami du penseur.
A la maison, ma fille, en classe de master dans une université britannique, qui préparait un mémoire sur « l’impact confessionnel dans l’enseignement au Liban » avait insisté pour m’accompagner. Elle avait toujours été impressionnée par le travail du père Daccache sur l’éducation (*2). Si le recteur jésuite avait refusé sa présence, ma progéniture aurait alors poireauté dans la salle d’attente. J’étais conscient du risque, tout heureux que ma fille ne soit pas rembarrée, quand j’ai commencé l’interview.
L’entretien sur Moubarak n’a jamais été écrit. J’avais trop de lacunes sur l’œuvre, et puis, dans mes déplacements entre Beyrouth et Paris j’avais perdu mes notes. C’était aussi bien, car avec mon manque de connaissances sur la pensée du théologien, l’entretien aurait été quelconque, ni à la hauteur du sujet, ni à la hauteur de l’interviewé.
Sur le chemin du retour je m’étais promis de fréquenter le fonds Moubarak sur lequel veille le père Salim Daccache au « Centre de recherches et de publications de l’Orient chrétien » (*3), un organisme rattaché à la faculté des sciences religieuses de l’Université. Une salle entière, où l’archiviste Elsy Khoury oriente les chercheurs, et où l’on trouve l’intégrale de l’œuvre de Moubarak, sa bibliothèque personnelle et ses archives, ses articles, ses notes, des photos et sa correspondance : 5000 livres, 100 titres de revues et plus de 10.000 articles en arabe en français, en anglais, et autres langues plus rares. Un trésor. La crise sanitaire due à la pandémie du Covid, ne m’a jamais permis d’honorer ma promesse.
Durant notre entretien, le père avait répondu avec patience à mes questions, mais il avait aussi fait participer ma fille. Un souci de transmission rare pour un intellectuel, recteur d’une université de 12000 étudiants, venus du monde entier. Une université, qui, depuis 1875, forme une élite libanaise, qui aujourd’hui encore, fait de ce pays, la seule démocratie du monde arabe.
Au fil de notre entretien, le père Daccache, me faisait découvrir Youakim Moubarak autrement. Avec lui, le théologien devenait vivant. Il n’était plus une légende, mais une personne. En quittant Saint-Joseph, j’avais décidé d’attendre pour retracer le parcours de l’auteur de la pentalogie islamo-chrétienne (*4). Car à travers les mots du recteur filtraient tout l’esprit jésuite, et la place prépondérante que tenait Saint Joseph au Proche-Orient … J’ai attendu deux ans, et la remise, le 19 avril dernier, de sa légion d’honneur décernée par la France pour saisir l’occasion, de remercier le Père Daccache, et dire son obsession, comme Youakim Moubarak, de mettre son savoir au service de la jeunesse afin, qu’elle construise un état libanais citoyen et non confessionnel… Et pris conscience du rôle capital de son université pour relever ce défi.
Luc Balbont
(*1) « L’identité des maronites et leur rôle dans l’établissement du Liban moderne selon Youakim Moubarak », publié en 2016 par le Centre de recherches et de publications de l’Orient chrétien.
(*2) Lire « les valeurs dans les établissements scolaires libanais », thèse de doctorat soutenue par Salim Daccache en 2011, à l’université de Strasbourg, France.
(*3) Centre de recherches et de publications de l’Orient chrétien ouCERPOC
(*4) Pentalogie islamo-chrétienne, de Youakim Moubarak – Ed. du Cénacle libanais, Beyrouth, 1972.