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AU SUD LIBAN : NABATIYEH, VILLE DE PAIX ET DE RENCONTRES

Une initiative du Père Maroun Atallah

Contrairement à ces spécialistes qui analysent le Moyen-Orient avec recul et détachement, Christian Lochon porte le monde arabe au plus intime de lui-même. En Égypte, en Irak, en Palestine il est chez lui. Curieux, aux aguets, il faut l’entendre questionner en arabe le serveur du restaurant de Beyrouth où il déjeune, sur les derniers évènements en date ou répondre à un ami syrien en transit, qui l’appelle au téléphone, pour l’inviter.

C’est à l’automne dernier, au Liban, où il passe une partie de l’année que Christian Lochon m’a parlé pour la première fois de l’association « Reconstruire Ensemble » du Père Maroun Atallah. Je ne connaissais ni l’un, ni l’autre, mais la présentation qu’il m’en fit correspondait en tous points à ces jeunes associations qui, depuis quelques années, creusent le sillon d’un « agir ensemble » islamo-chrétien au Liban, ferment d’une possible citoyenneté commune; comme l’ « Adyan » du P.Daou, l’« Offre-Joie » de Melhem Khalaf, ou le mouvement citoyen « Vous puez ! » dont j’ai parlé récemment dans ce blog,

« Reconstruire Ensemble" est un espace de rencontres, qui rassemble des amoureux du voyage et de la culture, de toutes confessions et de toutes tendances. A l'origine, un prêtre libanais: Maroun Atallah, Père Antonin de 88 ans, qui, en 2011, eut l'idée d’organiser "un pèlerinage", pour emmener des chrétiens et des musulmans aux quatre coins du Liban. Une initiative devenue aujourd'hui annuelle, qui permet de découvrir et de partager plus profondément les richesses de la diversité libanaise, géographiques mais aussi sociales et spirituelles. 

Christian Lochon se rappelle dans les moindres détails de sa première participation, où le prêtre libanais avait conduit les participants du nord au sud du pays : «  C’était en 2012, et dans ce voyage à travers le Liban, raconte-t-il, nous nous étions arrêtés à Bcharré, au nord, où je logeais chez un agriculteur maronite, avec deux sœurs chiites, mariés à deux sunnites de Saïda. Un moment inoubliable pour moi. »

Cette année, mon ami s’était à nouveau préparé avec Afaf, son épouse libanaise, à rejoindre le P. Maroun Atallah pour visiter, avec un groupe, la région de Nabatiyeh, dans le sud du Liban. Il m’avait invité à ce voyage. Impossible ! Je repartais pour Paris la veille de la date prévue. Quel dommage car « Reconstruire Ensemble » participent à ce mouvement citoyen, né dans la foulée du Printemps libanais de 2005 et des révolutions arabes de 2011, qui me donne tant d’espoir, et que je veux faire connaître.

Au retour, Christian Lochon a relaté ce voyage. En ces temps d’attentats, d’angoisse, de haine, de replis sur soi et d’appels à la guerre, ce témoignage est une respiration. En voici des extraits.

Luc Balbont   


 

NABATIYEH, cité consensuelle du Liban-Sud – Périple de Christian Lochon du 9 au 11 octobre 2015

L’Appel

Dans un Liban « confessionnellement si diversifié (18 dénominations religieuses officielles), le charisme du Père Maroun Atallah a suscité une émulation parmi les participants accueillant chez eux leurs hôtes lesquels viennent avec joie et intérêt connaître leur culture. Dans sa lettre nous invitant à le suivre dans le Sud Liban durant trois jours, il insistait sur le fait que d’aller à l’autre nous conduit à le connaître et par conséquence à l’aimer. »

Le Groupe

«  Une quarantaine d’entre nous, allions être hébergés dans seize maisons de familles de la ville. Il fallait pour réussir cette opération de l’amitié un grand dévouement et un grand respect ; tous les participants ont admiré justement ces qualités des quatre grands organisateurs, le Père Maroun, Charlotte Farhat, Dr Ahmed Kahil, président en exercice de la Municipalité de Nabatiyeh et son prédécesseur Dr Mustafa Badreddine ; à leurs côtés, les accompagnateurs bénévoles, conférenciers, responsables des Institutions visitées, membres des familles hôtes, administrateurs et employés de la Municipalité, ont tout fait pour que les membres de « Reconstruire Ensemble » se sentent heureux au Liban Sud et enrichis des connaissances, des expériences, des rencontres offertes. »

 Christian-Lochon2

La Région de Nabatiyeh et du sud Liban

« Cette région recèle de nombreux édifices religieux ; à Nabatiyeh même, nous en visitâmes quatre ;

  • le couvent Saint-Antoine le Grand dirigé par le Père antonin Francis Assaf qui nous accueillit dans la chapelle où Chrétiens et Musulmans tour à tour évoquèrent l’indispensable dialogue interreligieux ;
  • Sœur Lucie et ses consoeurs antonines présentes nous dirent qu’elles géraient une école de 1400 élèves dont 10% seulement sont chrétiens ; cet établissement scolaire maronite comme tous ceux de la région méridionale, montre combien les parents musulmans font confiance à l’enseignement dispensé par des religieux chrétiens.
  • Nous fûmes reçus aussi pour un copieux petit-déjeuner dans le presbytère de l’Église melkite de la Vierge par le prêtre de la paroisse, le Père Nicolas. On nous conduisit également à la plus ancienne mosquée dite du Sérail dans le quartier des souks qui date de 1872 
  • et à l’Husainiya, mosquée principale chiite de la ville reconstruite récemment ; le Cheikh Abdelhussein Sadeq nous y accueillit et nous rappela qu’il avait beaucoup apprécié l’initiative du Pape Jean-Paul II qui reçut à Assise pendant dix années consécutives des responsables de toutes les religions qui , non seulement dissertaient mais priaient ensemble.
  • Dans le village de Mar Mimas, nous fûmes reçus dans le presbytère de l’église latine par le Maire de la ville et nous contemplâmes de loin les ruines du vénérable couvent du même nom, dont nous n’avions pas le temps de nous approcher. »

Les contacts personnels

« Ils furent aussi une source d’enrichissement culturel et spirituel. Une première soirée sise au Club Chqif, bâtiment élégant sur une colline dominant la ville, créé et embelli par le père de notre hôtesse Madame Salam Sabbah, fut consacrée aux discours de bienvenue et à un récital de poésie et de zajal. Le lendemain soir, dans le belvédère du jardin Kassem Zaater, la parole fut d’abord donnée à deux mères d’adolescents tués au combat en Syrie contre Daech, l’un de 23 ans, l’autre de 17 ans ; le récit terrifiant de l’exécution du premier par les tortionnaires daechis qui décapitèrent le jeune homme, lui coupèrent les mains et les pieds, en firent une vidéo qu’ils envoyèrent à la Maman, nous replongea tous dans l’évocation de ce chaos inhumain qui bouleverse aujourd’hui tout le Proche Orient , n’épargnant personne, ni chrétien, ni musulman au nom de l’instrumentalisation politique de ce que certains présentent comme dictée par la religion.»

 

Hommage au Cheikh Al Sayid Hani Fahs

« Une autre manifestation nous marqua tous ; il avait été prévu que le 11 octobre, nous nous rendions au village de Jebshin, au Sud-ouest de Nabatiyeh, pour participer à la cérémonie funèbre du premier anniversaire du décès du Cheih Al Sayid Hani Fahs, théologien très respecté, promoteur du dialogue islamo-chrétien avec le Père Maroun auquel le liait une grande amitié ; il avait soutenu que l’islamisme n’a pas de projet alternatif, tout juste des slogans et de la haine pour l’autre. Nous fûmes reçus dans la maison du Sayid par son épouse et son fils Hassan Fahs. Parmi la douzaine d’intervenants, et après que le Père Maroun ait rappelé le récit de leur entente, j’eus l’occasion de souligner combien les voyages du Sayid dans tous les pays arabes lui avaient donné une connaissance exceptionnelle du monde arabe et que, de ce fait, l’Université française était intéressée par ses analyses innovantes.

En conclusion

« Le Père Maroun, les Présidents Dr Kahil et Dr Badreddine nous ont offert une tranche de vie inoubliable ; ils nous ont révélé cette ville de Nabatiyeh, les efforts de ses habitants pour plus de culture, de bien-être, de connaissance de l’autre ; ces efforts sont d’ailleurs suivis par l’Union européenne puisque Nabatiyeh est devenu le municipe modèle pour toutes les institutions municipales du pays. Ce qui se passe ici peut être aussi exemplaire pour l’ensemble de la région après que la terrible guerre civile aura cessé ; car il n’y aura pas de vraie démocratie dans les pays arabes tant qu’il n’y aura pas d’égalité entre toutes les confessions et bien sûr entre hommes et femmes. »

CHRISTIAN LOCHON